Published On: mer, Mai 29th, 2019

Fâché avec l’écrit!

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Khalil Mgharfaoui–

J’ai cru que je me suis trompé de lieu. Le bureau de Poste est trop somptueux pour de simples citoyens ! Dans le vaste espace, où le marbre côtoie le verre, il n’y a que deux guichets ouverts. Cinq personnes se serrent dans une file, sans doute, de peur que quelqu’un ne s’y faufile à leur insu. Devant l’autre guichet, personne! Réjoui de son oisiveté, l’employé derrière la vitre sourit à son smartphone. Rien ne m’indique vers quel guichet me diriger pour envoyer ma lettre recommandée. Par pur instinct culturel, je rejoins la file des cinq personnes en gardant une distance raisonnable avec la personne qui me précède. Un doute me tourmente. Ne suis-je pas en train de perdre mon temps. Je regarde avec dépit le guichet vide. L’employé rit maintenant à son smartphone. Je demande à la personne qui me précède si c’est le bon guichet pour les lettres recommandées. Elle n’en sait rien, mais me conseille de demander l’information au gardien qui se tient droit devant la porte avec l’autorité du maître des lieux. J’hésite parce que ma place dans la file me semble un précieux acquis que je risque de perdre. En me parant d’un sourire plat, je demande à la personne qui me suit de me garder ma place. Elle ne semble pas apprécier. Le gardien m’oriente vers le guichet libre. Je suis soulagé, mais aussi en colère qu’un espace aussi bien soigné reste muet. « N’est-il pas plus simple de mettre des écriteaux sur les guichets ?», dis-je au gardien comme s’il était réellement le maître des lieux. Il hoche la tête et me dit : « tu crois que les gens savent lire ? ». Nous sommes donc tous des analphabètes. Mais ce n’est pas tout.

Je reçois un coup de fil de la part d’un doctorant. « J’espère que je ne vous dérange pas », me dit-il. Je réponds par un « non » dont la brièveté me laisse embrasser l’espoir qu’il comprendrait le contraire. « J’ai modifié le plan de ma thèse et revu la partie théorique », dit-il convaincu que cela me fait plaisir. Je me contente d’un « humm » en changeant le téléphone d’oreille. Il se met à me lire son nouveau plan, ligne par ligne. « Qu’en pensez-vous ? » me demande-t-il à la fin. Je l’imagine arborant un sourire satisfait. Je fronce les sourcils pour mes propres besoins. « Qu’est-ce que je pense de quoi ? » dis-je, agacé. « De mon plan » répond-il. Peut-être a-t-il haussé les épaules de dépit. « Pourquoi vous me parlez de votre travail au téléphone ? Vous ne pouvez pas m’envoyer un écrit ? ». J’imagine qu’il est étonné par ma réaction. Rendu aphone par un choc émotionnel, il se justifie comme il peut. « Je… Je me suis dit… Qu’oralement, c’est plus… C’est plus convivial… Et puis c’est notre culture ». « Notre culture ? » demandai-je étonné. Il m’explique que s’il communique oralement au lieu d’écrire, c’est parce que nous sommes issus d’une culture de l’oralité. Notre fâcherie avec l’écrit est donc endémique. Cela mérite d’être noté. Je sors mon téléphone et je dicte l’histoire.

 

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