Published On: lun, Déc 17th, 2018

Mon expérience aux ORMVA. Entretien avec Abdelmalek Merbouh, cadre retraité

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Par: Jmahri Mustapha //

Abdelmalek Merbouh, né en 1946, a passé une quarantaine d’années de sa vie au service de trois établissements agricoles. D’une double formation technique et juridique, il nous livre dans cet entretien son point de vue sur son expérience et sur la gestion de ces établissements.

-Dans quelles conditions avez-vous intégré l’administration agricole ?

–  Je vous remercie pour cet entretien, et  je dois préciser d’emblée que j’ai été recruté par l’ONI qui est l’ancêtre des ORMVA. C’était en 1963 et je fus affecté à Dar Gueddari dans le Gharb comme responsable local de la vulgarisation. J’étais encore jeune puisque j’avais à l’époque presque 18 ans, mais il faut dire qu’à cette époque-là le Maroc manquait cruellement de cadres et de techniciens.

Je signale par ailleurs, qu’au départ, je n’étais pas destiné à ce travail de terrain mais à devenir professeur technique pour enseigner dans le cadre des centres de formation agricole étant moi-même lauréat des premières écoles d’agriculture de Sefrou, de Saïs à Fès et de l’école des cadres de Kenitra. Mais, comme cela n’a pas pu être réalisé, je fus affecté à l’ONI.

-En quoi consistait alors votre travail ?

– Le bureau dont je m’occupais dépendait du périmètre du Gharb dont le directeur était un Français du fait, comme je viens de le souligner, du manque flagrant de cadres nationaux. Mon travail consistait à conseiller les agriculteurs, hommes et femmes de cette région, sur les techniques agricoles et d’élevage. En ces temps-là, j’ai collaboré par exemple avec des vétérans de l’administration agricole tels Tahiri, Bennani et Benjamaâ.

J’ai aussi beaucoup appris de l’éminent sociologue Paul Pascon et de son collègue Najib Bouderbala. Ils venaient tous les deux nous donner des cours au centre de formation de Mehdia et de Béni Mellal. Plus tard, j’ai connu Abdellah Bekkali, originaire de ma région natale, et qui était ancien directeur de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II à Rabat.

-Puis vint l’épisode doukkali…

– Effectivement je ne suis pas resté longtemps dans le Gharb et j’ai intégré le périmètre des Doukkala un peu avant la création des ORMVA. Le directeur d’alors était sur le départ. Il s’appelait Hassouni, personnage que j’ai connu auparavant puisqu’il était subdivisionnaire au Gharb. Il n’avait pas le grade d’ingénieur. Il fut alors remplacé par Haj Attar, ingénieur de génie rural ayant fait ses études en France. Il y aura après lui Ahmed Kettani qui avait fait ses études à Paris, puis Benyounes ouled Chrif et Abderrahmane Taouqi. Après le départ de Si Taouqi à la retraite je lui ai rendu visite chez lui à Rabat plusieurs fois. C’est au temps de ce dernier responsable, que l’établissement a connu ses années de gloire. Ce qui ne sera plus le cas après son départ.

J’ai également exercé quelques années, sous le statut de détaché, à la Société de gestion des terres agricoles dont le siège était à Rabat. Ceci au temps de son directeur Ahmed Arafa.

-Ensuite vous êtes retourné sur les bancs de la faculté ?

– Effectivement, dans les années 1980, je me suis inscrit à la faculté de droit de Casablanca et j’ai obtenu une licence en droit en langue française. Je vous explique ici que ce qui m’a poussé à reprendre mes études : c’était le constat qu’il était venu un temps où l’expérience ne suffisait plus pour faire carrière dans l’administration et que seul le diplôme comptait. On ne vous demandait plus ce que vous saviez faire mais si vous aviez un diplôme. Nous étions payés uniquement sur la base du diplôme. C’était un peu malheureux mais c’était comme ça.  Et là, je dois dire que le directeur, le regretté Taouqi, nous encourageait à étudier et à se spécialiser. Il était un homme cultivé qui appréciait les études universitaires. Il ne croyait pas à l’efficacité des petites pseudo-formations d’une journée ou deux mais sur les études au long cours. A l’Office des Doukkala, j’ai exercé aux services de la vulgarisation et de l’élevage puis, après avoir obtenu ma licence, je fus affecté au service du matériel.

-Quelle expérience avez-vous acquise en 40 ans d’exercice ?

– Ayant profité d’une formation technique, doublée d’un cursus en droit et après avoir exercé plus de quarante ans, je peux me permettre d’avancer certaines réflexions sur les établissements agricoles. Ces entités n’ont pas pu réaliser tous leurs objectifs. Les causes sont de nature diverses et enchevêtrées. Mais il faut aussi avouer que la gestion de ces établissements a connu bien de faiblesses. Le niveau du savoir du personnel a baissé du fait de la baisse générale du niveau de l’enseignement et de l’arabisation menée sans réflexion. Aujourd’hui, il est rare qu’un cadre puisse écrire un rapport convenable et bien argumenté comme c’était le cas autrefois. Le management, au lieu d’être stratégique, est resté une simple gestion administrative du quotidien. Ces établissements n’attiraient plus les bons profils. Les éléments brillants démissionnaient ou se retiraient à l’écart. Et d’autres, sur place, étaient souvent mal adaptés aux tâches fixées. Certains responsables d’ailleurs n’avaient pas l’étoffe nécessaire et se maintenaient à leur poste, coûte que coûte, par d’autres moyens que la compétence.

Quant à la vulgarisation, elle a perdu de son importance dans les programmes et a dévié de sa mission. Ce sont d’ailleurs là les raisons qui ont poussé l’administration à confier la vulgarisation à un établissement autonome.

-Quelles remarques vous inspire ce constat ?

– Je suis à la retraite depuis plus de dix ans et donc je ne suis plus l’évolution de ces établissements mis à part ce qui est publié de temps en temps dans la presse. Ceci dit, je peux tout de suite noter que l’enthousiasme qui fut la marque de l’ancienne génération a baissé depuis lors. Dans les années soixante et soixante-dix, par exemple, on gagnait une misère mais on pouvait travailler plus de 8 heures par jour. Aujourd’hui, même avec les salaires qu’on connaît, le rendement n’est pas à la hauteur. La tendance par ailleurs est devenue trop techniciste.

La bonne gouvernance reste un vain mot dans la plupart des cas et c’est ce qui a été relevé noir sur blanc par les instances compétentes. Enfin, comment pouvez-vous m’expliquer que des établissements à vocation technique recrutent des licenciés ès lettres alors que le règlement ne le permet pas ? Comment  concevoir qu’un établissement disposait de plusieurs archivistes alors qu’il n’a pas de centre d’archives ? Comment m’expliqueriez-vous le fait de confier un service du personnel à un géographe et de reléguer un juriste aux oubliettes ? Le principe de l’égalité des chances ne fonctionne pas comme il faut. Étant moi-même l’un des plus anciens cadres administratifs je n’ai jamais bénéficié d’avantages indus. Même la villa de fonction que j’ai occupée pendant une période, je l’ai quittée sans regret, plusieurs années avant ma mise à la retraite. En résumé, l’amélioration de la gestion reste un grand chantier dans notre pays.

 

 

 

 

 

 

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