El Jadida: Bouderie dans la commune
Par Ahmed BENHIMA-_-
Je suis un citoyen profondément déçu par le rendement des élus de ma commune. Je leur avais pourtant fait confiance et leur avais accordé ma voix. Aujourd’hui, je m’en veux d’avoir facilement cru à leurs promesses et me promets, la prochaine fois, de garder ma voix dans ma gorge ou de “la rendre ”.
Quand j’ouvre mes yeux, je ne vois, aussi loin qu’ils peuvent voir, que désordre urbanistique. L’individuel et le collectif, le domestique et le commercial, le résidentiel et l’économique s’alignent et s’entremêlent jusqu’à tant qu’on ne fait plus la différence. Les quartiers sont des ensembles disparates de formes, de niveaux et de genres. Voies exigües, comme si le parc automobile qui se gonfle n’était pas prévisible. Absence systématique et totale d’aires de jeux pour les enfants qui constituent pourtant plus de la moitié de la population. Le savent-ils ? S’ils ne le savent pas, c’est gravissime. Absence totale et systématique d’espaces verts pour les habitants. Croient-ils que c’est inutile ? Ce n’était sûrement pas l’avis du protectorat qui nous a légué deux parcs splendides (ils sont en train de rendre l’âme par manque flagrant de soins et d’entretien) et de superbes rangées de palmiers (ils survivent encore par leur propre force). Mais si par hasard ils en créent discrètement un petit bout, ils l’abandonnent si vite et si bien que nous regrettons d’en avoir un jour rêvé. On ne voit, de tout côté, que le bitume noir, le béton armé, gris et sombre qui envahit toutes les surfaces, ou des terrains vagues jonchés d’ordures. Absence, enfin, de toilettes publiques. Croient-ils que c’est un luxe ? Ceux qui ont pour charge de veiller sur des cités où se meuvent des dizaines de milliers de personnes et qui les font sans « chambres de réconfort » ( بيوت الراحة) ne sont pas faits de la même chair que nous ou ne se soucient pas de notre confort ou sont totalement insensés. Mais quand les crises se déclenchent, à défaut de lieux appropriés, on se rue sur les lieux adaptés et on s’y soulage. Ils sont d’ailleurs ironiquement annoncés par des enseignes de fortune, sur les murs ou sur des pancartes : «Ici, il est interdit de…et de… ». Alors, on comprend que c’est bien ici qu’il faut le faire. Personne ne se trompe et personne ne se retient.
Des travaux importants de réfection et de réaménagement avaient démarré peu avant les élections municipales. Etait-ce prévu par un calendrier quelconque ou ce n’était qu’une simple coïncidence ? Passé l’événement, les chantiers se sont subitement arrêtés. Animés quelques semaines plus tôt, ils sont actuellement désespérément stagnants. Se réanimeront-ils encore ? Dieu seul le sait. Et comme pour rajouter malchances aux malchances, des carrefours rassemblent des équipes entières de mendiants, nationaux et étrangers, qui assaillent les automobilistes, des feux de signalisation sont en panne, des priorités ne sont pas indiquées, des troupeaux de bêtes, apparemment sans propriétaires, et des meutes de chiens errants s’emparent d’avenues entières et n’en font qu’à leurs têtes. Eux, ils se moquent des élections, Ils se moquent des électeurs et se moquent des élus.
Pauvre cité. Les architectes qui l’avaient amoureusement dessinée, bâtie, parée et dotée de tout ce qu’il fallait pour justifier son entrée dans le XXè siècle ne s’imaginaient pas que des élus d’un autre temps, allaient la ruraliser et la défigurer jusqu’à la rendre complètement méconnaissable. Ses chaussées centrales sont définitivement livrées aux commerces hétéroclites, au vu et au su de tous les responsables. Partout, elle offre des spectacles insolites de foires anarchiques, de souks de campagnes pour foules hystériques. Maintenant, les commerçants annexent des trottoirs et interdisent, dans le déni total des lois, le stationnement des voitures. Des individus s’improvisent gardiens par le seul port de gilets jaunes, se substituent à l’Etat et imposent « des droits » de parking à tout endroit.
Mais enfin, y-a-t-il un œil qui veille sur nos communes et sur leur gestion? Où sont passés nos élus ? Qu’ont-ils fait de leurs promesses et de leurs projets ? Y-a-t-il une autorité qui les suit et les contrôle ? Où veulent-ils en venir ? Oseront-ils se représenter une autre fois ? Et avec quels discours et avec quels engagements? Ils ont prouvé et prouvent encore qu’ils ne sont capables d’offrir que des services médiocres, que des cités tristes, espaces géants de misère et de mal-vivre. Moi, je me détourne d’eux et adhère aux vues et aux ambitions royales qui aspirent à des cités modernes où il sera facile et agréable de vivre.