Published On: ven, Mai 13th, 2016

Marocains de France : la difficile intégration

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 m jmahri longs champs

Par Mustapha Jmahri (écrivain)

 Ma dernière tournée en France m’a amené, cette fois-ci, de la côte d’Opale à la Bretagne avec un passage inévitable par Paris car la culture est toujours un objectif de prédilection à chacun de mes séjours en ce pays. La France, en effet, est une capitale mondiale de la culture dans ses différents aspects et il me parait évident qu’il convient d’en profiter au maximum quand on a la possibilité d’y vivre. Il faut dire qu’à titre personnel, j’ai toujours intégré la culture dans mon quotidien. Il me semble donc inexplicable de ne pas profiter de la richesse et de la diversité des ressources culturelles françaises quand on a la chance d’habiter en France. Bon nombre de mes compatriotes vivent en France et n’ont pourtant pas ce souci, hélas, et j’en ai été, d’ailleurs, le triste témoin.

Dans l’avion de la Royal Air Maroc, lors du voyage retour Paris-Casablanca, je fus un peu gêné par les discussions sans fin et sans intérêt de deux femmes qui avaient pris place derrière moi. Disons plutôt, pour être aimable, qu’elles seules trouvaient de l’intérêt à ce qu’elles racontaient. Ces deux personnes parlaient en darija marocain mêlé de bribes en français mais elles étaient naturalisées françaises et exhibaient, avec fierté, leurs passeports rouges en montant dans l’avion. Personnellement, avant de rejoindre ma place, j’avais pris quatre ou cinq journaux mis gracieusement à la disposition des voyageurs par la compagnie. J’avais commencé à lire quand l’une des deux femmes demanda à celle qui était déjà assise si c’était bien le numéro de sa place. Et puis elles ont fait connaissance et ont commencé leur marathon verbal sur des sujets tous plus hétéroclites les uns que les autres : des marchés aux puces dans la région parisienne, aux meubles bon marché de la joutia de derb Ghallef à Casablanca, en passant par les allocations sociales versées par la France aux immigrés, et j’en passe…

En cette période-là, la France était secouée par les manifestations de jeunes étudiants contre le projet de loi de la ministre El-Khomri mais ce problème n’a nullement été évoqué par les deux femmes, pas plus que les propos de Marine Le Pen contre Angéla Merkel ou l’effervescence culturelle et artistique parisienne en cette fin d’avril. Rien de tout cela ne les intéressait.

J’entends bien que ces deux femmes n’étaient pas des prix Nobel de littérature ni des prix Goncourt pour se lancer dans une réflexion problématique mais je me demandais pourquoi ces nationalisées françaises n’avaient rien évoqué de ce qui les liait à ce pays avec lequel, nous Marocains, avons mille et un liens et notamment historiques et culturels ?

Pour parler juste, je dirais que le cas de ces deux femmes n’est pas unique et je ne suis pas le seul à le constater. J’en avais discuté avec des amis qui avaient fait leurs études en France ou qui y travaillent toujours aujourd’hui. Ces derniers m’ont dit que bon nombre de Maghrébins physiquement présents en France en sont moralement absents. Mes interlocuteurs attribuent ce phénomène à la pression des traditions orales dans les familles mais aussi à la modestie des origines sociales de la majorité des immigrés et tout cela rend très difficile une véritable intégration à la société française. Par bonheur de belles exceptions viennent confirmer cette règle et beaucoup de nos nationaux ont réussi à percer justement grâce à la culture. Les exemples sont légion d’artistes, d’écrivains, de médecins et même de ministres de souche maghrébine.

Lors de mon séjour à Rennes, un certain dimanche après-midi, je me suis précipité vers Les Champs Libres : un grand espace d’expositions, de documentation et de conférences sur plusieurs étages. Etant arrivé avant l’heure, j’ai rejoint la grande file de visiteurs, parents et enfants, qui attendaient devant l’entrée. En observant les personnes autour de moi, je remarquais qu’aucun maghrébin ou arabe n’y figurait. Telle était la triste réalité.

Je me garderai bien de faire des réponses hâtives à partir de ce constat, car la réalité n’est jamais simple : tant de facteurs sociaux, politiques, économiques et culturels interviennent dans le comportement des uns et des autres. Mais il me semble légitime de se poser cette question simple : pourquoi les Maghrébins vivant en France n’ont-ils pas de penchant pour la culture ? Je connais certains Marocains naturalisés Français qui ne se sont jamais approchés de la Tour Eiffel, qui ne sont jamais allés à l’Arc de Triomphe, ni à la Cité des sciences ou à la Bibliothèque Nationale, alors qu’ils résident tout près de là, dans la banlieue parisienne. C’est leur libre choix, certes, mais ont-ils le droit de priver leurs enfants, franco-marocains, de la fréquentation de ces lieux hautement symboliques et dont la simple visite pourrait influer grandement sur le devenir de ces petits qui doivent vivre, grandir et construire leur vie en France ?

***

Pour enrichir le débat et avoir d’autres points de vue sur ce problème, j’ai soumis cet article à des amis, écrivains Français de mes connaissances. De leurs propos, il s’avère que du côté français aussi cette intégration n’est pas clairement définie et les outils de sa mise en œuvre ne sont pas encore très probants. Voici donc leurs réflexions :

Marie-Claire Micouleau (auteur de Les médecins français au Maroc) : Cher Mustapha, Vous faites partie d’une élite intellectuelle dont beaucoup de Français de souche sont éloignés! Ne vous étonnez donc pas de la teneur des propos que vous avez entendus. Ceci dit la France est très fautive à propos de cette « intégration » qu’elle a mise en place, refusant (comme pour les nationaux) de constituer à l’école des groupes de niveaux qui permettent aux plus doués de progresser vers un statut de plus en plus élevé dans la société ! Les hommes ne sont pas égaux en matière d’intelligence! A refuser cette évidence on fait de l’égalitarisme qui laisse sur le bord du chemin les moins doués.  C’est aussi valable pour les Français d’origine!  La crainte d’être accusés de discrimination a conduit nos gouvernements à encore plus d’égalitarisme (tout le monde dans le même circuit) et a retardé l’évolution vers le haut aussi bien des gens doués de milieux aisés et cultivés que, a fortiori ceux qui viennent  de milieux sociaux défavorisés. Ceci aussi bien pour les Maghrébins qui veulent s’intégrer que pour les Français de souche d’origine simple! La culture est désormais un bien mal partagé et sera de moins en moins accessible si on supprime les bourses d’enseignement et les filières où chacun peut s’épanouir à son rythme! Ceci dit vos élites marocaines existent bien chez vous, vous en êtes la preuve!

Christian Feucher, historien, (auteur de Mazagan 1514-1956) : votre « message » pro-culture est intéressant. Puis-je te dire toutefois qu’il m’est souvent arrivé de devoir subir tout au long d’un trajet en train ou en avion les propos futiles, insignifiants, oiseux… et malheureusement interminables de proches voisins qui étaient, manifestement, des descendants de purs Gaulois. Ton propos est universel et non franco-marocain !

Pierre Gazeau (délégué pour le Languedoc-Roussillon de l’Amicale des Anciens de Mazagan et de sa Région), apporte cette nuance : « Quand nos illuminés de l’ultra gauche  préconisent le communautarisme dans notre république, laïque, indivisible, démocratique et sociale;  le repli sur les coutumes, les racines, la culture de la tribu devient légitime. Et puis pour moi qui suis très modestement empreint des humanités de notre civilisation et de notre culture occidentale au point de parfois l’oublier ou pire… de l’étaler, je ressens souvent de l’incompréhension, de l’indifférence ou des crispations, confronté à d’autres modes de pensées, de mœurs, d’expressions artistiques. Alors pourquoi le reprocher aux autres! Cependant l’altérité est une richesse, l’uniformité un ennui mortel. Vivent les frontières qui caractérisent, les langues qui relient, l’art qui enjolive; les cuisines, les musiques, les littératures  qui sont le reflet de l’âme des peuples; tout ce qui fait la diversité, la surprise, l’originalité des hommes et….l’horreur des normatifs de la commission de Bruxelles! ».

Jean-Louis Morel, poète (auteur de Mazaganelles et de Eclats d’enfance à Mazagan) ajoute : « Ne t’étonne pas, mon cher Mustapha, de l’attitude indifférente des franco-marocains envers ces hauts lieux de l’histoire ou de la culture que sont l’Arc de triomphe ou la Bibliothèque Nationale. Beaucoup de Français de souche ne les fréquentent pas non plus. Tout un chacun n’a pas ton appétence pour la culture car le souci de se cultiver et d’apprendre est un luxe pour beaucoup car cela demande du temps et souvent de l’argent. Nos franco-marocains ont sans doute d’autres soucis ou d’autres urgences : travailler, se nourrir, se loger et se chauffer. Et même s’ils habitent dans la banlieue de Paris, ils sont peut-être fatigués de passer trop de temps dans les transports en commun. Ne leur jetons pas la pierre mais essayons de les comprendre et de les aider à rencontrer les œuvres d’art dans leur quotidien. Quant aux femmes qui parlent en darija, c’est bien compréhensible. Parler le même langage permet de créer une connivence propice à un échange amical. Quand deux Languedociens ou deux Bretons se rencontrent, ils échangent souvent quelques mots en occitan ou en breton, cela crée une sorte de complicité sympathique. Moi-même, au temps où j’exerçais mon métier de professeur de français, je disais quelques mots en darija avec mes élèves d’origine maghrébine qui m’ont aussitôt gratifié de leur totale sympathie. N’oublions pas ce que disait déjà l’auteur libanais Joseph Sayegh : « Le mot redevient le berceau pour que nous apprenions la spontanéité du dire ». Si les propos tenus par ces deux voyageuses étaient quelque peu oiseux, ne blâmons personne. Rien ne serait pire qu’un monde d’autistes privés de la parole. Je terminerais volontiers mes réflexions sur l’importance de la parole par cette citation de Charles de Gaulle qui savait mieux que quiconque la valeur des mots : «  Je parle. Il le faut bien. L’action met les ardeurs en œuvre mais c’est la parole qui les suscite. »

En fin de compte, le problème n’est jamais simple. Qui faut-il blâmer alors ?

 

 jmahrim@yahoo.fr

 

 

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  1. Les propos de Monsieur Jean-Louis Morel m’ont rassurée; Il vit ou a vécu dans la vraie vie et connaît les conditions de vie quotidienne de la population parisienne souvent composée de travailleurs laborieux.Ils ont des heures de transport, de travail, puis de transport pour un salaire qui ne leur permet pas de sortir du nécessaire; La vie d’une famille qu’elle soit d’origine du vaste monde ou bien Française, avec les mêmes droits sociaux, ne laissent pas forcément d’argent pour accéder à la culture, le cinéma sans parler de l’opéra réservé aux classes aisées.
    Je suis triste de lire votre constat, vous avez de notre société française une image idyllique bien loin de la réalité. Il reste à ces gens
    la possibilité gratuite de marcher, de se rencontrer, d’échanger
    de la chaleur humanitaire, de vivre en paix tout simplement…..
    Vous faites certainement partie, Monsieur Jmaharim d’une classe sociale aux revenus privilégiés autant au Maroc qu’en France. Profitez-en et soyez indulgents avec ceux qui, fatigués par une semaine harassante préfèrent profiter de leur famille!
    J’aurais tant encore à vous dire, je ne veux pas abuser de ce droit de réponse que nous offre Monsieur Aboufariss.

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