Published On: lun, Juil 21st, 2014

Hommage posthume à Abdelkbir Khatibi

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kh khatibi                                                  Cinq ans après la disparition de Feu Abdelkébir Khatibi,nous constatons que tous les médias et les intellectuels marocains ont vite oublié ce grand romancier,sociologue,spécialiste de la littérature maghébine francophone…
Alors, nous avons pensé à publier le texte du discours prononcé à Rabat, en hommage à la mémoire du défunt par sa cousine Khadija Bouchtia ( artiste peintre et écrivain) lors de la célébration par l’Université Mohammed V du 40 ème jour de son décès.

Université Mohammed V Rabat, le 24 Avril 2009

  Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, votre présence massive nous émeut, elle est à elle seule, le témoignage des liens étroits que vous êtes parvenus à tisser avec le défunt et qui, je constate, ne sont pas rompus après sa disparition. Sachez aussi qu’elle est pour nous un rayon de soleil dans le ciel assombri qu’est le nôtre depuis sa mort.

                 Merci d’être venus aussi nombreux nous apporter votre soutien. Merci de vous être associés à notre deuil.

                               Le voyage rétrospectif, empreint de nostalgie auquel d’éminentes personnes ont bien voulu nous convier, nous a transportés dans le monde magique où se mouvait Khatibi, icône précieuse, ancrée dans nos mémoires, pour nous faire découvrir son œuvre consistante, qu’elles ont si bien illustrée nous abreuvant ainsi de leur savoir et nous permettant d’assouvir notre soif d’apprendre.

                 Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, au regard du drame qui nous a frappés, un tel contexte où se mêlent sentiments et connaissances est incontestablement, le meilleur réconfort.

Soyez assurés que toute l’affection contenue dans notre cœur en peine vous est acquise et l’amitié sincère, sentiment noble lorsqu’il est ressenti et vécu dans sa forme la plus profonde, amitié que vous avez nourrie pour Khatibi et que vous témoignez par votre présence, nous l’accueillons à bras ouverts.

 Je n’oserai rien ajouter car les mots seraient-ils à même de traduire tout ce que mon être recèle de sentiments respectueux et de reconnaissance pour vous tous. Aussi vous dirai-je encore une fois, merci.

 Khadija Bouchtia cousine de Abdelkebir Khatibi

 bb

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

A mon tour, je viens me perdre dans mes pensées et me tourner vers Si Abdelkebir pour lui exprimer notre douleur après sa mort soudaine et lui rendre hommage à ma manière.

Je vous demanderais de bien vouloir excuser mes débordements et me permettre de me confondre en superlatifs et en hyperboles mais je ne vois pas d’autres façons de louer celui qui a hissé très haut le fanion de notre famille.

 Très cher cousin,

 Il est des êtres dont le départ vous plonge dans un désarroi et revêt une solennité toute particulière. Tu es de ceux-là, Si Abdelkebir. L’annonce d’une nouvelle bouleversante, celle de ton décès a fait éclater mon cœur tel un verre qui se brise et m’a laissée dans l’impossibilité de contenir mon émotion. Accablée de tristesse, j’ai cru que tout l’univers basculait tant ma douleur était profonde. Je restai là, comme figée dans un monde où il n’y avait plus aucun souffle de vie, aucun souffle d’espoir. Les yeux bouffis, embués par les larmes, je ne voyais plus ce qui vivait autour de moi et ce monde que je voyais auparavant inondé de la plus belle lumière terrestre, me semblait alors cadré dans l’ombre.

 Que dire aujourd’hui ? J’en arrive à me demander quelle teinte a pu prendre la vie après la perte d’un être aussi cher que toi, Abdelkebir, perte irremplaçable quand il s’agit d’un frère, d’un époux, d’un père, d’un ami, compréhensif, bon et généreux, mais avec modestie et discrétion. Je n’aurais pas la prétention de répondre à cette question, pourtant dès qu’elle effleure mon esprit, je sens une profonde tristesse noyer mon être et une angoisse serrer mon cœur ; alors par la pensée, je me rapproche de Zoubida, d’Amina, des enfants et de tous ceux qui t’ont aimé ; je serre alors très fort leur bras pour leur apporter tout mon réconfort et faire avec eux un bout de chemin dans leur peine. Je souhaiterais pouvoir, un tant soit peu, amoindrir leur douleur semblable à la mienne et qu’ils trouvent dans mes paroles, des propos issus d’un cœur toujours prêt à écouter et à donner.

 Tandis que je forme ces mots sur le papier, je revis un de ces moments exquis où un soir, tu me rendis visite dans ma demeure pour partager avec la famille un évènement heureux, souvenir d’autant plus cher à ma mémoire que cette venue allait, bel et bien, être la dernière !

 Ta présence feutrée, mais combien chaleureuse, emplissait la maison et augmentait notre réconfort et notre bien-être. Je te respectais profondément et à tel point que parfois je n’osais prendre la parole de peur de troubler un silence chargé de tant de choses.

 Au cours du repas, je t’observais et admirais de quelle façon tu croquais la vie à pleines dents ! Et, lorsque vint le moment de prendre congé, emportée par le bonheur que nous avait procuré ta présence, je ne pouvais, hélas, deviner que tu franchissais le seuil de notre demeure pour la dernière fois.

 Plus tard, lorsque le diagnostic tomba comme la foudre, j’attendis quelques jours avant de m’enquérir de tes nouvelles par message téléphonique. La réponse immédiate, écrite de ta main, qui me parvint, m’emplit de joie et me conforta dans l’idée que tu allais sortir de cette épreuve et le, je cite : « Je suis en voie de guérison », encouragea mes pas vers ta chambre d’hôpital où je fus reçue, avec ma fille, par un homme debout, serein, confiant dans la vie, allant même jusqu’à nous faire part de ses projets, visiblement touché et heureux de nous voir.

Et la Sollicitude Royale, qui n’avait pas manqué de te confier à de chevronnés professeurs, conscients de la lourde responsabilité d’avoir entre les mains et de devoir sauver un cœur d’une valeur inestimable, décuplait notre espoir.

                 Mais tout ceci n’est qu’illusions et dans une vie humaine, les illusions sont un épi de blé au milieu d’un champ désertique. Pour moi, elles sont une note d’espoir, tiennent lieu, dans cette vie de moins en moins garnie, de moins en moins patiente, de poésie. Elles sont sur cette terre de périls, le grain de la moisson, l’étincelle qui éclaire le chemin, rassurantes comme le chant du grillon dans la nuit.

                 Je sais bien qu’actuellement, notre vie s’asphyxie, que tout se déboise, le superflu prend le pas sur l’utile, le tangible. Pourtant, je continue de tresser un panier de tout ce qui n’est pas ruine de la vie, anéantissement des valeurs, des principes et je sais que pour toi aussi, Abdelkebir, tout cela avait bien du prix et que toi aussi tu te définissais par rapport à ces éléments vitaux. Seulement, lorsque je reviens à la réalité, c’est le cœur comprimé par une angoisse indicible, inexplicable que je ressens cette absence. Et face à cette tragédie, je me refuse à imaginer une scène, un évènement, un rassemblement familial où tu pourrais ne pas te trouver. Loin d’être les seuls affligés par ton trépas, c’est tout un monde culturel qui perd en ta personne, un homme de lettres, un philosophe, un penseur, maniant avec aisance la plume, faisant valser – Ô divinité, quel art ! – les tournures, les nuances et les subtilités de la langue de Molière. Et je peux dire que parallèlement, c’est le peuple marocain tout entier qui est orphelin du père de la littérature maghrébine.

                 La Providence, ton riche parcours et ta notoriété nationale et universelle t’ont élevé au rang des grands de ce monde, mais paradoxalement, toute ta vie, tu as eu, envers tes semblables, le comportement du plus modeste, du plus humble des humains. Ton prénom même, Abdelkébir , qui t’a été octroyé à l’image de la fête du sacrifice qui a vu ta naissance, te prédestinait à la riche vie qui a été la tienne.

                 Cher cousin, tu as tiré ta révérence un peu trop vite à mon sens, mais en pleine gloire. Certes, tu n’es plus de ce monde, mais tu continueras d’exister et tes écrits nourriront les esprits de nombreuses générations futures. Puisses-tu avoir passé le flambeau à cette jeunesse assoiffée de connaissance, assurant ainsi ta succession. Nous voudrions y croire.

                 Notre seule consolation aujourd’hui, est ce concert d’éloges qui n’a pas manqué et ne manquera pas de s’élever à ta « mémoire » et qui restera à jamais « tatoué » dans la nôtre.

                 Il était une fois un 11 Février … Ainsi commencent les plus beaux contes de fées et je peux dire que le nôtre n’a pas de semblable car ce jour-là, le foyer de ma tante fut illuminé par un bel astre. Le 16 Mars dernier, notre bel astre brusquement s’est éteint.

                 Je crois avoir laissé courir ma plume un peu trop vite, mon cœur parler un peu trop abondamment peut-être, sur une feuille qui attendait de recevoir mes pensées et qui s’est faite ma complice, l’espace de quelques lignes. L’écriture, si chère à toi Abdelkebir, aura-t-elle su traduire ma peine et mon désarroi. Pardonnez-moi, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, de ne savoir dire que des paroles de regret.

 Mon Dieu que votre Sainte Volonté soit faite, mais que cette disparition est cruelle ! Paix à ton âme, Si Abdelkebir.

و إنا لله وإنا إليه راجعون

Ta cousine Khadija Bouchtia

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Displaying 1 Comments
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  1. ahmed benhima dit :

    Hommage émouvant et à la hauteur de la personnalité du disparu. En fait, par ses nombreuses oeuvres, Feu Abdelkebir Khatibi a marqué la culture contemporaine marocaine par son grand génie, lieu de rencontre et de croisement de tous les types de réactions à ses créations. Celles-ci séduisent et déstabilisent mais ne laissent jamais indifférent.

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