Published On: dim, Avr 28th, 2019

Aubrac et le pain dur de la contestation

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Par Mustapha Jmahri  (écrivain)

C’est une anecdote qu’il faut raconter pour sa douceur et surtout pour son enseignement humaniste. Elle révèle la bienveillance de certains grands hommes qui allient souvent la modestie au savoir faire. Dans le cas d’espèce il s’agit de Raymond Aubrac, ami du général De Gaulle, qui, lors d’une réunion à El Jadida, supporta la colère d’un simple ouvrier doukkali : Abdellah Sabir.

Cette anecdote m’a été racontée par l’ancien syndicaliste Mokhtar Timour. L’événement se passa en 1964 à El Jadida au siège de la direction du périmètre irrigué des Doukkala relevant de l’ONI (actuel ORMVAD). L’établissement était jusque-là dirigé par Abdelmajid Laraqui mais, après son départ, le poste était resté vacant. Dans l’intervalle et avant la nomination d’un nouveau directeur, il fallait assurer la bonne marche quotidienne de ce service. Raymond Aubrac, secrétaire général de l’ONI à Rabat et qui exerçait auprès du directeur Mohammed Tahiri, fut donc désigné pour assurer l’intérim.

Une grève alors secouait l’établissement et, dès son arrivée, Raymond Aubrac dut régler divers points lors de réunions avec les différents responsables des services. C’est ainsi que mon interlocuteur, Mokhtar Timour, représentant le personnel affilié à l’UMT, fut reçu, avec quatre autres de ses camarades, par Raymond Aubrac pour discuter de leurs doléances.

Abdellah Sabir, simple ouvrier sans aucune qualification, faisait partie du groupe reçu.  La discussion avec Aubrac se passait en français avec quelques  mots d’arabe marocain. Avant la fin de la séance, Abdellah Sabir fit le geste de vouloir intervenir. A la surprise de tout le monde et surtout de ses camarades, il sortit alors du bonnet de sa jellaba un pain d’orge rond et sec et en frappa la table puis il s’adressa à Raymond Aubrac en ces termes :

  • Monsieur le directeur, ce n’est pas avec ça qu’on va vivre ?

Pris de court, Raymond Aubrac ainsi que le groupe de syndicalistes écalèrent d’un grand rire. Puis Raymond Aubrac répondit avec le sourire :

  • Si, c’est avec ça qu’on va vivre, cher ami.

Nous avons souhaité en savoir un peu plus directement de la bouche d’Abdellah Sabir, mais nous avons appris qu’il s’était éteint l’année dernière chez lui à une dizaine de km d’El Jadida sur la route vers sidi Smaïl.

Raymond Aubrac montrait ainsi à tous qu’il faut savoir écouter la colère et le désarroi des humbles et toujours y répondre par la douceur et la bienveillance.

 

jmahrim@yahoo.fr

 

Pour plus de détails sur Aubrac au Maroc, voir aussi mon livre (Rencontres franco-marocaines. De Raymond Aubrac à Driss Chraïbi)

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Displaying 1 Comments
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  1. menjoulet dit :

    Merci pour votre article qui me rappelle bien des souvenirs de ma jeunesse au Maroc, poursuivis par de nombreuses visites ultérieures dans ce beau pays, y compris à El Jadida.
    Avec mes amités

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