Published On: ven, Avr 21st, 2017

50ème anniversaire du collège Abouchouaib Doukkali à El Jadida

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avec MadoSouvenirs de la première promotion d’élèves

Par Mustapha Jmahri (écrivain)–

Mon passage de quatre ans au collège Abouchouaib Doukkali, à compter de l’année scolaire 1964-65, constitue une étape décisive dans ma formation littéraire et dans la constitution de ma personnalité future. Je fais partie de la toute première promotion qui a intégré les nouveaux bâtiments du collège juste après leur construction en l’année scolaire 1966-67. Nous étions, auparavant, logés dans l’ancien bâtiment du collège devenu, après notre évacuation, le collège de filles Lalla Meriem. Cette rentrée au nouveau collège est inoubliable car nous avions dû, nous les élèves, déménager les tables vers le bâtiment flambant neuf. Jour mémorable dans l’histoire de l’enseignement à El Jadida puisque tout le long de l’avenue Chouaib Doukkali et jusqu’à la villa de l’ancien consulat espagnol, sur environ trois kms, on pouvait voir un cortège interminable de tables transportées par les élèves. Deux élèves pour chaque table. Une solution très pratique, aujourd’hui inimaginable, et qui était pourtant la plus simple et la plus rapide pour le transfert de toutes les tables en une demi-journée à peine.

Le terrain où fut édifié le collège était auparavant un de ces nombreux terrains vagues où jouaient les jeunes et les écoliers. Il s’étendait du rond-point Chajrat tlata (les trois arbres) jusqu’aux premières villas du Plateau dites Diour N’ssara ou Maisons des Chrétiens (entendons Français). Chaque jour, pour faire le trajet depuis notre domicile dans la banlieue jusqu’à mon école Tahdib au quartier derb Ghallef, je passais devant le chantier de mon futur collège et j’avais tout le loisir d’en observer l’avancement. Ce fut pour les enfants de la banlieue une grande chance qu’un collège soit construit si près de chez eux. Auparavant, les seuls établissements qui existaient, le collège Rafy et le lycée ibn Khaldoun, se trouvaient très éloignés de la banlieue.

Avant d’aller plus loin, je voudrais apporter ici un détail essentiel pour expliquer ce dont je parle s’agissant de banlieue. En effet, le cimetière de sidi Bouafi près du phare constituait la limite de la ville et, au-delà, s’étendaient les champs infinis de la banlieue rurale qui commençait juste devant le collège Chouaïb Doukkali et allait tout droit vers le douar Haj Abbes où se trouvait l’ancien aérodrome. La dénomination encore en usage de « Tariq al-Matar » ou Route de l’aviation vient de là. De nos jours, l’aérodrome a disparu sous les immeubles et toute l’étendue a été occupée par le palais de justice, le supermarché Acima, les lotissements, le Centre de formation des professeurs, l’Institut de technologie et bien d’autres entreprises, commerces et cafés.

Même un demi-siècle plus tard, je ne pourrais oublier l’image, quoique un peu estompée dans mon esprit, du premier directeur du collège Si Ahmed Hattab, un notable jdidi dont le père était un imam respecté. Si Ahmed Hattab était ce genre de directeur exigeant qui aimait son pays et qui estimait que la conjoncture d’alors avait une importance toute particulière. L’Istiqlal (l’Indépendance) avait à peine huit ans et il fallait former au plus vite une relève marocaine pour occuper les postes ouverts dans l’administration naissante et balbutiante. Cette exigence lui donnait à juste titre une haute idée de son rôle dans l’éducation des jeunes marocains. Il se mettait souvent, avec le surveillant général Si Abdeslam Abbadi et le répétiteur Si Tijani Ahid, devant la montée des escaliers pour contrôler la tenue des élèves. On avait entre onze ans pour les plus jeunes et dix-sept ans pour les plus grands. Beaucoup d’élèves en provenance de la campagne limitrophe estimaient sans doute leur âge approximatif sans tenir compte de l’état civil. C’est ainsi que notre professeur Si Ghazouani, disait parfois à un élève récalcitrant :

– Regarde-toi bien. Tu as le même âge ou presque que ta professeure française.

Je me rappelle aussi, qu’en 3ème année, un élève de ma classe, avait reçu sa convocation pour le service militaire obligatoire. Parmi les grands, certains, peu nombreux d’ailleurs, se permettaient d’avoir une chevelure négligée ou une fine moustache mais c’était sans compter sur l’intransigeance du directeur. Devant tout le monde, si Hattab grondait ces élèves et leur intimait l’ordre irrévocable de se faire propre et d’aller chez le coiffeur. Le directeur vérifiait tout et se mettait en colère à chaque fois qu’il constatait un dégât quelconque dans l’établissement, par exemple, une égratignure sur une table ou la destruction d’une plante. Il fut un jour très en colère contre un élève que le gardien, Si Ahmed, avait attrapé, en flagrant délit, sautant du mur de clôture pour rejoindre sa classe après la fermeture du portail. Le pauvre avait écrasé une plante en tombant et le directeur lui lança cette phrase que je n’ai jamais oubliée : « Il y en a des Marocains semblables aux animaux destructeurs ». Il disait cette phrase en arabe tout en prononçant les « r » à la manière française. Si Hettab, que Dieu ait son âme, allait mourir dans un accident de voiture en rentrant chez lui par la route de Moulay Abdellah.

Le bras droit du directeur, Si Abdeslam Abbadi, le surveillant général, appartenait à une ancienne famille jdidie. Il se montrait bien sévère avec les élèves qui le craignaient beaucoup plus que le directeur car, lui était en contact permanent avec eux. Il était omniprésent matin et soir et, avec sa voix forte, il faisait régner un ordre absolu. Il faut dire franchement qu’à cet âge délicat de l’adolescence, il est nécessaire d’apprendre aux élèves à bien se conduire pour être mieux armés dans la vie qui s’ouvre devant eux. Il était aidé dans sa tâche par trois répétiteurs : feu Bnouachir, feu Tijani Ahid, et Mostafa Sakhir qui allait rejoindre, plus tard, l’Office Agricole des Doukkala.

J’ai passé mon adolescence dans ce collège. Quatre années pleines de découvertes et d’épanouissement avant de rejoindre, en 1968-69, le lycée ibn Khaldoun. Nous avions beaucoup plus de professeurs français que marocains. Notre seul professeur marocain assurait le cours d’arabe alors que nous étudiions toutes les matières en français : en plus de la langue, l’histoire-géographie, les mathématiques, les sciences naturelles, et la physique-chimie. Même pour l’éducation physique, nous avions, pour ma classe, un certain M. François. Les professeurs français et marocains étaient d’un haut niveau. Je citerais parmi nos professeurs d’arabe Si Abderrahmane Abou el-Fath, Si Ghazouani et Si Rahou. Parmi, nos professeurs français, je citerais Mme Marie-Madeleine Rivière, M. Henri Denanot, M. Mottard, M. Paul Lagache, M. Roger Lignon, M. Chevance, et M. Yves Gicquel. Ce dernier réside toujours à El Jadida où il a pris sa retraite, ce qui nous permet d’évoquer quelquefois ces belles années de promesses et d’espoir. J’ai eu la chance de revoir, souvent en France, mon professeur Mme Marie-Madeleine Rivière, après son mariage avec le poète mazaganais, M. Jean-Louis Morel, ainsi que M. Denanot. Mme Marie-Madeleine Rivière et M. Jean-Louis Morel m’ont d’ailleurs invité chez eux à Narbonne, en 2008, pendant quatre jours où nous avons eu tout le temps d’évoquer très longuement ces années mazaganaises.

Si je qualifie cette période de « belles années mazaganaises », ce n’est aucunement par nostalgie. Mais je fais référence à cette période où la cité d’El Jadida, encore cosmopolite, s’était engagée dans la voie de la modernité et de la culture artistique. Modernité visible et revendiquée au niveau de l’enseignement, des loisirs, des festivités communes, des spectacles au théâtre et des meilleurs films présentés dans les trois cinémas. La jeunesse ardente jdidie vivait dans un melting-pot culturel très enrichissant. D’ailleurs, chaque dimanche après-midi, nous, élèves du collège Chouaib Doukkali, nous pouvions rencontrer nos professeurs français au cinéma Dufour. Quelquefois même on en discutait brièvement en classe si le thème abordé avait un rapport avec le cours comme ce fut le cas après la projection du film de guerre « Le jour le plus long ».

C’est lors de mon passage au collège Chouaib Doukkali que j’ai attrapé le virus de l’écriture grâce à nos professeurs de l’époque qui nous ouvraient les portes du rêve. J’avais lu à cet âge-là Mostafa Lotfi Manfaloti, Victor Hugo, les Fables de La Fontaine et les Mille et Une nuits par exemple. Une littérature romantique et de sensibilité adaptée à notre âge. Mon amitié avec des élèves de la toute proche école Charcot, dont Fouad Laroui, me fit découvrir les bandes dessinées de Blek et Zembla. Si Rahou, professeur d’arabe, nous demanda un jour d’écrire en classe une histoire ou une nouvelle de notre choix. Je me rappelle avoir retranscrit une histoire racontée par un parent et cela m’avait valu une bonne note. Ce fut, ce jour-là, pour moi, un encouragement décisif et comme le signe de ma future vocation. Après cette première expérience, j’ai publié depuis cinq recueils de nouvelles et un roman.

Avec nos professeurs français, ce n’était pas uniquement un simple enseignement du programme mais c’était surtout la transmission d’une autre manière de parler, de s’habiller, de se comporter et de voir les choses. Nous avions la chance d’être amenés à apprécier un texte ou un simple fait avec une sensibilité plus raffinée. Pendant les cours de Mme Marie-Madeleine Rivière, c’était l’occasion de voyager dans la littérature française des lumières. Elle nous encourageait à prendre bien soin de nos cahiers et à nous trouver une occupation en dehors du collège telle que la collection de timbres ou de cartes postales ou bien la confection d’un herbier à partir des fleurs du printemps. Strict sur la discipline et le travail, M. Henri Denanot quant à lui, nous faisait la lecture à haute voix d’un livre qui nous fascinait, « Pionniers des grands lacs ». Livre qui nous laissait imaginer les grands espaces canadiens, couverts de neige et peuplés d’ours blancs. Pour les sciences naturelles, on recherchait dans la nature environnante des roches, de petits reptiles, ou de minuscules poissons pour les apporter au professeur M. Chevance. Il nous gratifiait de bonnes notes à chaque fois qu’on lui ramenait quelque chose d’intéressant. Par ses seules paroles, M. Paul Lagache, éminent professeur d’histoire et de géographie, faisait revivre pour nous Magellan et d’autres noms de l’histoire maritime. Quant à M. Mottard, souriant et courtois, il se disait entre nous qu’il avait offert son corps à la science et cela nous intriguait au plus haut point.

Ma quatrième année au collège Chouaib Doukkali s’est déroulée durant l’année scolaire 1967-68. Sur les quarante élèves de ma classe, nous ne fûmes qu’une douzaine à réussir le difficile passage en 4ème année du lycée et à décrocher le certificat d’études secondaires. L’année suivante, j’ai donc regagné le lycée ibn Khaldoun en section lettres modernes pour entamer alors une quête incessante du savoir et des plus belles choses de la vie.

 

jmahrim@yahoo.fr

 

 

Légende de la photo : Mustapha Jmahri avec Madeleine Rivière, son professeure de français au collège Chouaib Doukkali à El Jadida (retrouvailles à Narbonne en 2008)

 

 

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Displaying 2 Comments
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  1. HAURI dit :

    Bonjour.
    j’ai connu entre 71 et 74, Lignon, Mottard , Si Ahmed,Moktar le surgé ; Kouchla le protal…
    merci pour ces souvenirs de jeunesse

  2. REYNAL dit :

    Vous souvient_il par hasard d’ un certain Reynal Michel, prof.
    de Français avec son ami Denanot au Collège Abou Chouaïb
    Addoukkali, de 1960 à 1966 ?
    J’ ai gardé un excellent souvenir de tous mes élèves et de
    l’ excellent directeur qu’était Si Hattab ?

    Information : Mon épouse enseignait la couture au Collè
    de jeunes filles voisin…

    Amicales salutations à vous-même et à tous « mes » anciens élèves…

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