Published On: jeu, Juin 20th, 2019

Le tableau noir ou les tourments d’un enseignant

Share This
Tags

 Par Mustapha Jmahri (écrivain)–

J’aurais certainement pu passer à côté de ce livre sans avoir l’idée de l’acquérir. Ni la forme, ni la couverture, ni même le titre de l’ouvrage n’auraient attiré mon attention. Mais c’eut été alors ignorer un récit écrit avec beaucoup de cœur, beaucoup de détails, un livre que j’ai lu d’une traite. Je remercie l’auteur de m’en avoir offert un exemplaire qui m’a permis de partager son expérience que, peut-être, j’aurais pu moi-même vivre puisque, comme lui, j’avais opté, au début, pour l’enseignement et j’avais postulé au concours d’entrée au CPR en 1972. Il n’y avait alors qu’un seul centre basé à Rabat et ma convocation à l’examen ne m’est parvenue qu’au lendemain des épreuves.  Ces circonstances m’ont donc conduit à choisir des études de journalisme.

Ce livre, en petit format, de Faquihi Sahraoui, né dans la région de sidi Bennour, est intitulé « Le tableau noir ». Le titre sur la couverture ne révèle pas trop l’objet du livre et c’est le sous-titre « mémoire d’un enseignant désabusé », en première page, qui est plus explicatif et qui donne un indice de lecture à son éventuel acquéreur. Il s’agit ici d’un récit de l’expérience « noire » de l’auteur en tant qu’enseignant de français. Mais disons d’emblée, que ce petit livre très dense devient grand par le problème épineux qu’il détaille avec beaucoup d’amertume et même un certain rejet. Il s’agit aussi du malaise quasi général de l’enseignement marocain d’un point de vue personnel comme l’auteur l’a vécu au jour le jour. L’écriture est vive, le style rapide, celui d’un ancien enseignant qui tire son expérience de ses diverses formations, situations et mutations dans plusieurs villes du pays. Tout y passe : CPR, directeurs incompétents, inspecteurs fantômes, ministère où règne la bureaucratie, cycle spécial, examens bâclés, fraude des élèves, et petites corruptions. L’intéressé, après son baccalauréat, passa par le CPR en 1971 au temps où ces centres n’étaient pas encore généralisés dans tout le Maroc. Il évoque, avec une ironie désabusée, comment cet établissement devint pour ses lauréats un « centre pour pauvres réfugiés » qui n’ont pas pu continuer leurs études supérieures.

Arrivant dans sa classe à El-Gara, pour la première fois, l’auteur se rend compte de la défaillance de sa formation pratique ainsi que celles de ses collègues. Il impute cette défaillance aux formateurs qui, eux-mêmes, auraient eu bien besoin de formation. Il évoque différents types d’enseignants qui exerçaient avec lui : fqihs-ourafas, chargés de cours et instituteurs débutants. Après son affectation à El-Gara, dans la région de Settat, débuta sa relation conflictuelle et envenimée avec sa hiérarchie. Le corps des inspecteurs n’est pas épargné non plus car l’inspecteur, en réalité, n’inspectait rien. L’auteur a même hébergé chez lui à plusieurs reprises un inspecteur qui aimait surtout faire le tour des bars.

Le livre raconte aussi l’insubordination des élèves et leur envie de quitter l’établissement avant le terme de l’année scolaire. L’auteur sera muté par mesure disciplinaire dans un collège  de Ben Slimane. Là, les mêmes problèmes persistaient. Vint ensuite l’épisode du cycle spécial comme moyen d’améliorer la situation administrative.  Cela fut suivi par une nouvelle mutation à Casablanca avec son nouveau lot de problèmes : vie familiale, contraintes professionnelles, et expérience malheureuse dans l’enseignement privé décrit comme un scandale car la classe où il enseignait ne comptait pas moins de 90 élèves et ne parlons pas de pédagogie ni d’encadrement.

Les grèves aussi sont évoquées ainsi que la colère justifiée de l’auteur quand il se rend dans les locaux du ministère de l’enseignement à Rabat. En effet, une secrétaire, après plusieurs attentes, allées et venues, finira par dire à l’auteur qu’elle avait bien reçu sa demande un mois auparavant mais qu’elle s’était évaporée dans l’air. La retraite anticipée de notre auteur sera vécue comme une délivrance incomparable.

Le livre révèle une vérité essentielle qui n’est d’ailleurs pas un secret pour aucun Marocain : la nécessité d’une réforme sérieuse de l’enseignement en lui-même et celle d’une mise à niveau permanente de l’enseignant. L’embauche récente d’une foule de contractuels n’a pas amélioré, hélas, une situation déjà alarmante.

jmahrim@yahoo.fr

About the Author

-

Displaying 1 Comments
Have Your Say
  1. J’adhère parfaitement à ce que vous avez dit moi même en tant qu’enseignant exerçant depuis plus de trente années d »expérience j »ai la sensation que c »était presque un guachi total c’est pourquoi ma délivrance avec impatience;partir à la retraite.

laissez un commentaire

XHTML: You can use these html tags: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>