Published On: ven, Mar 1st, 2019

L’ENSEIGNEMENT PUBLIC : FAUX PROBLÈMES ET FAUX DÉBATS

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POINT DE VUE :

 Le point de départ de cette réflexion est un programme récent à la  télévision consacré à l’enseignement public en attente d’une réforme imminente. L’animateur a invité trois députés, une de l’US, un du PI et un troisième du PAM (1). J’ai regardé l’émission et j’ai écouté les déclarations avec beaucoup d’attention. Je n’en ai apprécié aucune parce que loin  de clarifier, les invités ont tout brouillé. Aux questions afférentes à la pédagogie  ils ont donné des réponses aux allures politiques dans lesquelles le souci électoral l’emporte sur les préoccupations éducatives. Et loin de rassurer, ils ont rapporté qu’au parlement, le débat bute sur deux points : la gratuité de la scolarisation et le choix de la langue d’enseignement des disciplines techniques et scientifiques. Autant dire sur tout. Paradoxalement, on discute partout de questions qui relèvent essentiellement des sciences de l’éducation avec des représentants d’entités politiques, chefs de groupes parlementaires, membres de commissions et de conseils divers, tous étrangers au domaine concerné et tous étrangers au milieu visé. Ils ne sont consultés ni en qualité de pédagogues, ni de linguistes ni de didacticiens et n’ont de toute manière aucun lien  avec l’enseignement public. Leurs enfants n’y vont pas et ne se sentent, par conséquent pas véritablement concernés par ce souci. Pourquoi se presseraient-ils pour lui trouver une issue ?

Ce sujet est pourtant préoccupant et en même temps  fort complexe. L’enjeu n’y est pas proprement pédagogique. Il est bien plus compliqué que cela. Tout s’y mêle, principalement la politique et l’idéologie, ensuite le social et l’économique.

Aujourd’hui, l’aspiration à un apprentissage conforme aux normes de qualité passe par une bataille qui oppose dans une rude confrontation deux parties aux intérêts contrastés, aux poids et aux moyens  disproportionnés.

D’un côté, il y a une population tenue  à l’écart, empêchée de comprendre, de choisir ou d’agir, une population rendue amnésique et crédule. Elle n’a d’autre choix que de suivre, de subir ou d’abandonner.

D’un autre, il y a des groupes constitués en partis  politiques dont le souci principal pour la plupart  est de détenir sans partage  le savoir, le pouvoir, les richesses et les privilèges. Leur stratégie consiste à associer politique et religion à toute difficulté pour brouiller les cartes, à ressasser de vieux  discours, à prodiguer des conseils auxquels ils ne croient pas  et à donner des promesses qu’ils ne tiennent jamais.

Cette  réalité est affligeante. Elle est en place depuis plus de six décennies et tout laisse penser que sauf surprise ou miracle, elle perdurera longtemps encore, pour ne pas dire indéfiniment, éternellement.

La solution radicale que d’aucuns évitent ou contrarient serait tout naturellement la restitution intégrale  de la responsabilité et de l’autorité de l’Etat sur un système éducatif national. De cette manière, tous les enfants marocains, toutes classes confondues passeraient obligatoirement par la seule voie possible et autorisée : l’école publique unifiée.  Si une telle solution venait à voir le jour, tous les malentendus et toutes les divergences se dissiperaient.

Mais restons réalistes et revenons aux deux problèmes évoqués. Demandons-nous d’abord s’il est nécessaire de supprimer la gratuité de la scolarisation, si toutefois celle-ci existe déjà.

Quand on sait que tout ce qui est subventionné par l’Etat l’est avec l’argent des contribuables la véritable question devient : Est-il nécessaire d’augmenter les prix de scolarité ? Tout en sachant que ce sont les classes les plus éprouvées qui seront concernées par cette mesure.  Légalement, moralement,  il est injuste de sanctionner le prestataire qui s’est acquitté de son devoir et de pardonner au responsable qui a échoué dans sa mission.

Le rapport de la cour des comptes du mois de décembre 2018 n’a relevé aucune insuffisance dans les budgets alloués au secteur de l’éducation. Par contre, il a mentionné des défauts de gestion et de bonne gouvernance.  Dans un tel cas, il n’est pas logique de demander un supplément d’argent aux citoyens. Il faut plutôt faire appel à la loi pour rétablir l’ordre et établir l’harmonie nécessaire entre les intentions, les déclarations et les actes quand le professionnalisme et la bonne volonté n’y parviennent plus.

Ensuite, demandons-nous quelle langue conviendra à notre enseignement ?

Pour répondre à cette question avec la raison et la sérénité requises, il faut  au préalable  tirer des leçons du passé, considérer que nos élans sentimentaux et nos hésitations répétées nous ont fait perdre beaucoup de temps. Il faut mettre un terme au mélange entre les dossiers, quand ceux-ci appartiennent à des domaines éloignés. C’est bien le cas de l’enseignement, de la politique et de la religion. Il faut accepter de se défaire des susceptibilités nationalistes qui provoquent l’hostilité entre les peuples et entraînent les malentendus entre les cultures étrangères. Il faut tout autant se débarrasser des susceptibilités régionalistes qui attisent la jalousie  et les disputes entre les membres d’une même communauté.  En un mot, il faut accepter de s’ouvrir sur le monde  et d’adhérer aux valeurs universelles sous peine de s’isoler et d’étouffer culturellement et économiquement. Dans ces conditions, la vraie question devient, non pas « Quelle langue conviendra à notre enseignement » ? Mais, « Quel plurilinguisme doit-on choisir » ?

Dans le cas de notre pays, nous n’avons besoin d’aucune érudition pour démontrer l’évidence, pour soutenir l’insoutenable et faire le choix approprié :

  • Nos dialectes (arabe dialectal et amazigh) ne sont pas aptes à nous assurer un enseignement conventionnel, efficace et permanent.
  • L’arabe classique n’et pas notre langue maternelle. Il est mieux que cela. Il est la langue commune à tous les peuples qui se définissent par son usage. Malheureusement, l’histoire ne rapporte aucune tentative d’union réussie entre deux pays arabes.
  • L’arabe classique est une langue merveilleuse, son patrimoine culturel est riche et diversifié. Par contre, ses apports aux sciences et aux techniques se sont arrêtés pratiquement depuis le XIIème siècle. Entre temps, ces disciplines ont pris en Occident des longueurs d’avance irrattrapables. Il est, par conséquent, illusoire de s’en tenir à cette langue et d’espérer s’aligner sur les pays avancés. Ceux qui soutiennent le contraire nous mentent et font l’opposé de ce qu’ils déclarent.
  • Notre pays a le devoir de maintenir, d’entretenir et de développer l’enseignement de la langue arabe, de renforcer  l’apprentissage du français, d’en faire la langue de l’enseignement des disciplines scientifiques et d’introduire l’anglais pour une ouverture optimale sur le monde, sur les civilisations,  sur  les cultures étrangères et pour les perfectionnements ultérieures.
  • On peut envisager l’ouverture dans les universités de filières spécialisées dans les langues et les cultures locales.  On peut tout aussi bien   encourager l’ouverture de centres culturels étrangers, d’instituts privés et agréés pour enseigner d’autres langues aux personnes qui en manifestent l’envie ou des  besoins particuliers.

Cette réflexion brève et non exhaustive est soumise à l’appréciation de tous les lecteurs qui souhaitent sincèrement une issue heureuse à la crise de notre enseignement et non pas à ceux qui s’opposent avec ferveur à toutes tentative de démocratisation de l’accès au savoir utile et fonctionnel .

Ahmed BENHIMA

El Jadida le 28 Février 2019

Note 1

US : Union Socialiste, parti de gauche, se trouve  actuellement dans la coalition gouvernementale.

PI : Parti de l’Istiqlal, parti traditionaliste et conservateur, se trouve actuellement dans l’opposition.

PAM :Parti Authenticité et Modernité, se trouve actuellement dans l’opposition.

 

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