Published On: ven, Nov 16th, 2018

Le sociologue Mohamed Benhlal : la faillite chronique de l’enseignement marocain

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 Par Mustapha Jmahri (écrivain)

 C’est à Rennes (France), par un matin d’avril mi soleil, mi pluie, tout à fait spécifique à la Bretagne, que j’ai rencontré le sociologue marocain Mohammed Benhlal. Notre rencontre s’est déroulée au café Le Kimberley dans le quartier vert des Longs Champs. Né en 1945 à Taroudant, cet intellectuel vit en France depuis 1966 soit depuis un demi-siècle. Docteur en sociologie, il a été chercheur à l’Institut de Recherches et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence. Cet institut mixte de recherche pluridisciplinaire, associant l’université d’Aix-Marseille et le CNRS, axe ses travaux sur l’histoire, la sociologie, la géographie, l’anthropologie, le droit et les sciences politiques dans le monde arabo-musulman. À la différence d’autres universitaires marocains qui sont arrivés en France pour faire des études supérieures, lui, pour des raisons très complexes à relater ici, a atterri à Montpellier alors qu’il était encore élève pour y passer le bac. Depuis lors, il y a fait toute sa carrière et, même après sa retraite, il continue à participer à diverses rencontres culturelles ou de réflexion au Maroc, en France et dans d’autres pays……

……Profitant de cette rencontre avec le professeur Benhlal, nous avons abordé le problème épineux de l’enseignement au Maroc et la crise qui le mine depuis déjà plusieurs années. Je ne pouvais trouver mieux que ce sociologue pour m’éclairer sur une question sur laquelle ce chercheur et analyste s’était penché depuis quelques décades.

D’après lui, le problème de l’enseignement au Maroc n’a jamais été un problème de langue. Pour preuve, ceux qui ont étudié en français, soit au temps du Protectorat dans les fameux collèges musulmans, soit dans les premières années de l’Indépendance, maîtrisaient aussi bien l’arabe que le français, et en plus possédaient une troisième langue étrangère (anglais, espagnol ou italien). La question principale est donc la suivante : qu’attend-on de notre enseignement ? Quel objectif doit-il viser ? Bref, quelle école veut-on pour demain au Maroc ?

Par ailleurs, l’élite intellectuelle qui a marqué la production culturelle et éditoriale marocaine, a fait soit de bonnes études en français, soit de bonnes études en arabe dans les grandes universités comme la Qaraouiyine à Fès ou Ben Youssef à Marrakech. Selon Benhlal, dans les premières années de l’indépendance, précisément avant 1960, la politique d’arabisation improvisée répondait à des visées beaucoup plus politiques que véritablement éducatives.

Le handicap de l’enseignement marocain a donc commencé très tôt. Selon ce sociologue, les réformateurs, au lieu de commencer l’arabisation par le haut, ont fait le contraire en commençant par le primaire. Et c’est ce qui a conduit au grand désastre que la grande famille de l’enseignement et les parents déplorent. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, presque tous les rouages de l’administration étaient aux mains d’un seul parti politique qui prônait une arabisation bâclée alors que le Maroc souffrait d’un manque flagrant de cadres à tous les niveaux. Il ne faut pas occulter de nos mémoires ce fait paradoxal, évoqué depuis 1960 par Charles-André Julien (premier doyen de la faculté de lettres de Rabat), que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoyaient ses enfants dans des écoles marocaines. Les champions de la culture arabe se battaient aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Il y a au Maroc, disait Charles-André Julien, deux classes sociales : celle des privilégiés qui ont bénéficié d’une culture occidentale grâce à laquelle ils occupent les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées et qui les cantonnent dans les cadres subalternes. Au bilan, constate Benhlal, le pays est aujourd’hui intellectuellement sous-développé. Avec de la patience et de la méthode on eut pu aboutir à un tout autre résultat, qui permettrait de donner à tous les enfants des chances égales d’avenir.

La difficulté principale réside dans la contradiction entre l’enseignement du 1er degré, de plus en plus arabisé, et celui du second où la plupart des matières sont encore enseignées en français.

D’ailleurs, on se rappelle que les graves événements de mars 1965 étaient liés à la circulaire n° 65 du 9 février 1965 qui précisait les règles selon lesquelles s’opérerait le passage de la 3ème à la 4ème année secondaire. « Peuvent être orientés en 4ème année secondaire, les élèves nés en 1948 issus d’une classe de 3ème AS. » C’est-à-dire ceux qui devraient avoir 18 ans ou plus au cours de l’année 1965, ne pouvaient entrer dans le second cycle et arriver au baccalauréat. De fait, cette circulaire écartait du circuit plus de la moitié des lycéens. Une autre circonstance a envenimé la situation d’alors : les débouchés au Maroc étaient encore peu diversifiés et tous les jeunes espéraient trouver un emploi uniquement dans l’administration publique et l’enseignement, deux secteurs qui assuraient la stabilité pécuniaire.

Le chercheur Benhlal n’ignore pas que l’arabisation était, au début, une réaction naturelle au système du Protectorat mais ce n’était pas une réaction réfléchie. D’autant plus que la conférence d’Aix-les-Bains, tenue en septembre 1955, prévoyait une transition administrative faite progressivement et en douceur.

Le deuxième handicap de l’enseignement public fut le recours, dès la fin des années 50, aux professeurs égyptiens et syriens qui, la plupart, étaient des pro-frères musulmans dont les régimes égyptien et syrien était contents de se débarrasser. Heureusement, ils furent expulsés après la guerre des Sables en octobre 1963.

L’autre erreur commise par le ministère de l’Education nationale fut de faire monter les enseignants du primaire directement au secondaire sans aucune formation préalable ni même de mise à niveau. Un autre problème et non des moindres est apparu après la marocanisation de l’enseignement au collège, notamment au début des années 1980. Un grand nombre de professeurs marocains formés dans les CPR remplaçaient les professeurs français, alors même que la formation marocaine manquait d’efficacité.

Autre lacune : au milieu des années 1970, l’arabisation de la philosophie visait, selon le sociologue Benhlal, l’atténuation de la pensée critique chez la jeunesse marocaine tout en augmentant le créneau réservé aux matières religieuses. A ce sujet-là, si ce sociologue n’est pas opposé à l’enseignement religieux, il est contre son contenu figé dans des sujets de statut personnel et non à l’islam comme relation et comportement avec autrui.

Un autre point fut abordé dans la discussion : celui des heures supplémentaires proposées par les professeurs à leurs élèves, habitude qui s’est généralisée à presque toutes les matières. Cette pratique, contraire à toute éthique, était devenue, ces dernières années, une sorte de rente injustifiée.

Le professeur Benhlal aborda aussi la nécessité de développer l’apprentissage des langues étrangères et d’activer celui de la langue berbère qui est une richesse nationale et un héritage commun à tous les Marocains sans aucune exception.

 

 jmahrim@yahoo.fr

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