Published On: sam, Oct 27th, 2018

Suzanne Létorey, peintre et musicienne à Mazagan

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Par Mustapha Jmahri–

uzanne Letorey-Dumond (1911-2000) était professeur de dessin au collège d’El Jadida (lycée ibn Khaldoun) dans les années de 1949 à 1957. Son mari Jean-Pierre Létorey fut nommé directeur des salines qui se trouvaient dans l’Oulja vers Oualidia. Le couple était entouré de beaucoup d’amis et participait à de nombreuses mondanités car Suzanne était également très bonne musicienne. Ils résidaient dans une villa de fonction en face du parc Lyautey (aujourd’hui parc Mohammed V). Danielle Létorey, sa fille qui réside aujourd’hui en France, a bien voulu nous résumer la vie de sa mère en ces quelques lignes.

De père architecte et de mère couturière chez Paquin, Suzanne Létorey-Dumond est née le 8 novembre 1911 à Paris. À 16 ans, elle entre à l’académie de la Grande Chaumière pour préparer le concours d’entrée aux Arts décoratifs qu’elle réussit en février 1929 pour suivre les cours d’Eric Bagge. Puis elle s’inscrit aux Beaux-arts dans l’atelier de Fernand Sabatté. Elle passe également le professorat de la ville de Paris et travaille la peinture en extérieur avec Pierre Eugène Montézin. Par ailleurs, depuis l’enfance, elle étudie le piano avec Luigi Gracia, éditeur de partitions musicales et enseignant qui lui fait aborder le répertoire des concertos pour orchestre.

En 1935, elle épouse Jean-Pierre Létorey et le jeune couple part à Djibouti où le mari est directeur d’exploitation pour les Salins du Midi. Leur première fille nait en octobre 1937. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en Europe, le port de Djibouti est bloqué par les Italiens installés en Érythrée, les femmes et les enfants sont rapatriés en France par bateau militaire. Pour rester en contact épistolaire avec son mari, elle s’installe à Néris-les-Bains en zone libre près de Montluçon. Lorsque la ligne de démarcation est supprimée en 1943, elle rejoint sa famille à Meulan-Hardricourt. Son mari revient en 1945 après l’armistice. Une seconde fille vient au monde en août 1946.

Après une période de deux ans et demi passée à Madagascar, Jean-Pierre Létorey est nommé directeur des salines à Mazagan (El Jadida) de 1949 à 1956. Les époux y retrouvent des amis connus à Djibouti et dont les carrières se poursuivent au Maroc. Le couple est logé dans une villa de fonction sur l’avenue allant du centre-ville vers la route de Casablanca en longeant le parc municipal. Un jardinet l’entoure, clôturé de géranium-lierres roses ; à côté une autre villa semblable, ornée de plumbagos, celle du pharmacien Pierre Ferté exerçant près du théâtre ; les jeunes enfants des deux familles vont à la petite école des Franciscains située près du cercle militaire d’équitation, en direction de la forêt d’eucalyptus vers les dunes. Ces deux villas ont disparu vers 2004 pour faire place à de grands immeubles modernes.

Suzanne a un tempérament doux, plutôt rêveur et imaginatif, associé à une grande volonté de travail, tant pour la musique que pour la peinture. Elle souffre moins de l’isolement affectif ressenti à Madagascar (le courrier mettait trois semaines en 1950, et la liaison téléphonique était pratiquement inaudible). Les distances plus courtes favorisent des séjours réguliers pour sa famille et ses meilleurs amis. Eux-mêmes rentrent en voiture, une Aronde blanche, passer les vacances d’été tous les deux ans, visitant l’Espagne et la France par des routes touristiques différentes à chaque fois. Avec parfois des aquarelles à l’appui selon les étapes.

Avec son époux, elle participe à la vie sociale et culturelle franco-marocaine. Ils répondent à un méchoui offert aux ressortissants français par le pacha Thami El-Glaoui sous sa grande tente lors de son passage à Mazagan en 1950. Ils reçoivent chez eux des artistes en tournée, comme le couple de guitaristes Ida Presti et Alexandre Lagoya, le pianiste Valéry Orlov ou, en 1954, la pianiste Jeanne-Marie Darrée. Elle expose de temps en temps ses peintures, sur place, à l’hôtel Marhaba ou à Casablanca. Elle tient la partie piano lors de formations musicales d’amateurs ou pendant des concerts de bienfaisance comme celui qui fut donné à Agadir en 1956.

Dès que son mari peut l’emmener en voiture, elle remplit des carnets à la gouache ou peint directement sur place de rapides pochades à l’huile. Chez eux, la salle à manger est convertie en atelier de peinture et le piano droit trône dans un angle du salon. Sortant peu, elle privilégie les bouquets de fleurs et les portraits de ses filles qui grandissent, mais aussi ceux de leurs domestiques, Tamou, la jeune gouvernante qui est comme une deuxième maman pour sa plus jeune fille Agnès, et Abdallah le cuisinier qui réalise de délicieux couscous aux amandes et raisins et l’aide à recevoir dignement leurs invités. Elle peint les salines et les employés à leur travail. Elle réalise aussi pour ses amis et connaissances des foulards peints ou décore des programmes, des menus, des invitations aux expositions. Enfin, le directeur du lycée de Mazagan lui proposa le poste de professeur de dessin qu’elle occupa jusqu’à leur retour en France. Elle a d’ailleurs conservé quelques travaux de ses meilleurs élèves et les schémas de ses cours.

Rentrés définitivement en 1956, ils s’installent à Paris. Elle obtient un poste de professeur au lycée des Oiseaux à Verneuil-sur-Seine. Ils achètent en 1958 dans l’Indre une ancienne ferme pour réunir la famille pendant les vacances. Là, elle prépare ses cours avec soin, peint de grands tableaux. Parallèlement elle continue ses cours à Verneuil et les assume jusqu’à sa retraite en novembre 1971. À partir de 1975 la maladie de Parkinson la freine peu à peu, elle cesse de dessiner vers 1998 tout en continuant son deuxième centre d’intérêt : le piano. À partir de 1985 elle s’inscrit au conservatoire de musique de Saint-Ouen-sur-Seine en classe d’orchestre pendant une dizaine d’années. À Paris, elle fait aussi partie d’un quatuor de musique de chambre privé.

En septembre 2000, l’impossibilité de circuler en fauteuil roulant dans son appartement l’oblige à choisir une maison de retraite médicalisée non loin de sa fille aînée près d’Enghien-les-Bains. Sa chambre est laquée dans le même ton pastel turquoise qu’elle avait choisi pour son appartement parisien. Fin janvier 2002, elle s’est éteinte doucement à l’hôpital d’Eaubonne, dans sa quatre-vingt-onzième année. Elle est enterrée près de sa famille au cimetière d’Hardricourt.

 

 

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