Published On: lun, Mai 7th, 2018

Les Cahiers d’El Jadida 25 ans : 1993-2018

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 Par Mustapha Jmahri (écrivain)—gg

La série de publications que j’ai baptisée Les cahiers d’El Jadida, a vu le jour en 1993 et c’est ainsi qu’elle entame, en cette année 2018, sa 25ème année d’existence.

Au tout début, ce projet éditorial a bénéficié de l’appui, en conseil et pour le suivi, de trois éminents intellectuels : l’historien Guy Martinet (1920-2003), le sociologue Abdelkébir Khatibi (1938-2009) et la chercheuse Nelcya Delanoë. Sans oublier l’aide en conseils ou corrections de la part de chercheurs et universitaires pour certains sujets : Fatema Mernissi, Philippe Marchat, Mohammed Ennaji, Fouad Laroui, Jean-Louis Morel, Mostafa El Ktiri et Dr Mustapha Akhmisse.

A ce jour, cette série a révélé une partie de la bibliographie historique de la ville d’El Jadida-Mazagan, a recueilli les souvenirs des anciens Jdidis marocains sur leur vie au temps du Protectorat, ceux des Français anciens de Mazagan, les témoignages des Marocains de confession juive sur leur attachement à la cité et le regard féminin sur l’époque transitionnelle protectorat-indépendance. Elle a permis aussi l’évocation de la vie des communautés européennes, l’expérience des agriculteurs étrangers dans les Doukkala, l’histoire consulaire de la ville, les chroniques secrètes, le patrimoine portugais classé patrimoine mondial et l’aspect sanitaire au cours des derniers siècles.

L’apport de ces contributions est multiple : participer à l’effort de recherche scientifique, contribuer à promouvoir le volet culturel local et régional et aider à l’accumulation d’un savoir sur l’histoire d’El Jadida et de sa région. S’agissant de ce dernier point, il y avait là une lacune à combler au moment où le Maroc a érigé constitutionnellement la Région en tant que collectivité locale.

Deux idées maîtresses ont toujours prévalu dans la rédaction de ces écrits : mémoire et tolérance. Car, en effet, El Jadida-Mazagan était, depuis ses origines, une ville à mémoire plurielle par ses communautés, son patrimoine, ses traditions et son héritage humaniste. C’est cet aspect-là qui a fait toute sa richesse comme de celui du Maroc en général. Cette identité plurielle de la cité est reflétée aussi par son patrimoine architectural : la cité portugaise, classée par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’Humanité, l’église Notre-Dame de l’Assomption avec sa charpente en bois, la mosquée de 1823, unique au Maroc par son minaret pentagonal, la synagogue Amiel jouxtant l’ancienne église espagnole transformée en hôtel, le phare de Sidi Bouafi construit en 1914 par des prisonniers allemands, le ksar el Bacha au style andalou, le château rouge auvergnat et les grandes demeures des familles juives sur la place Moulay Hassan. Plusieurs autres éléments hélas ont disparu dans les dernières décennies : le casino sur pilotis, le cinéma Dufour, les anciens fondouks, le siège du consulat espagnol, le petit aérodrome, l’hôtel Marhaba et le parc Sadi-Carnot.

J’ai eu personnellement la chance de connaître une petite tranche de cette société cosmopolite d’El Jadida lors des années soixante et au début des années soixante-dix du siècle dernier. Société ouverte d’esprit et respectueuse de l’Autre. J’ai eu aussi le privilège, étant l’aîné de ma famille, de profiter du savoir de feu mon père, né à El Jadida en 1910, sur les anciennes familles de la cité, la vie communautaire et l’héritage oral de l’époque.

Les images de cette société d’hier défilent, dans mon imaginaire, comme des séquences d’un film ancien. C’était, en fait, un monde qui disparaissait tout doucement devant nos yeux étonnés et quelquefois même sans laisser de trace. Devant la puissance du temps et l’impuissance de l’homme, seule l’écriture avait ce pouvoir de capter les instants volatiles, les images altérées, les odeurs fanées et les heurs et malheurs d’une époque à jamais révolue. Mon humble ambition, par ces cahiers, a été donc de fournir aux lecteurs des données sur le passé récent de cette cité ouverte et généreuse. Il fallait d’urgence s’atteler à cette tâche car les matériaux (archives et souvenirs) risquaient de se perdre à jamais. Consigner ces bribes de mémoire sur le papier, les sauver de l’oubli fut, pour moi, non seulement une satisfaction personnelle mais surtout un devoir moral.

Il serait intéressant de souligner que l’opportunité de ce genre de publications ne se mesure pas uniquement à l’échelle interne, il a aussi un effet sensible sur le rayonnement externe. Ces travaux sur la mémoire locale peuvent ouvrir des perspectives en matière de tourisme culturel, d’échange et de partage d’expérience avec les peuples du monde.

Il est bien évident que les livres créent des liens inimaginables au-delà des frontières, des couleurs, des civilisations et des religions. D’ailleurs j’ai eu plusieurs fois l’occasion de vivre des expériences inédites liées à la parution de tel ou tel livre. Souvent des lecteurs marocains de la diaspora juive ou occidentaux me sollicitent pour un ouvrage ou un renseignement en rapport avec la ville ou avec une ancienne famille. Ainsi, par la connaissance de son milieu, l’historien local rend service à sa ville. D’ailleurs, j’avais évoqué cet aspect-là dans une émission « Maktaba » qui m’a été consacrée par la 4ème chaîne marocaine en 2012.

Bien entendu la tâche n’est jamais facile et le chercheur doit constamment affronter des difficultés d’ordre documentaire et surtout matériel. Mais, seule compte la passion qui l’anime.

 

jmahrim@yahoo.fr

 

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