Published On: ven, Déc 8th, 2017

Marcel Rivault, créateur de saniat el-Morakib à El Jadida

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Par Mustapha Jmahri (écrivain)bv

 Yves Chalançon est le petit-fils de Marcel Rivault, personnalité bien connue à El Jadida où elle a passé une quarantaine d’années et qui repose au cimetière chrétien. Ce grand-père fut à l’origine de la ferme connue sous le nom de « saniat el-Morakib », devenue aujourd’hui tout un quartier de la ville qui porte toujours ce même nom. À notre demande, son petit-fils, Yves Chalançon, a bien voulu nous écrire ce témoignage sur ce passé familial et sur la vie de son grand-père.                                          °°°

Je suis Yves Chalançon, fils de Jean et Marcelle Chalançon, née Rivault, petit-fils de Marcel Rivault, l’un des notables de Mazagan. J’ai perdu mon père dans mes premières années de naissance. Orphelin et fils unique, donc gâté, j’ai vécu convenablement auprès de ma famille maternelle, éduqué par mon grand-père et mon tuteur André Darrigrand. Mes parents étaient propriétaires de l’usine Pimag à El Jadida dans les années 1950. Située dans la rue de Normandie, vers le Château Buisson dit aussi Château rouge, cette entreprise était spécialisée dans la conserve de poissons, essentiellement sardines et thons. A l’usine, chaque poste de travail avait son caporal marocain (cabrane) pour pointage, contrôle, et autres problèmes même familiaux car les femmes, qui avaient des enfants en bas âge, travaillaient avec leurs bébés sur le dos et il leur fallait donc des pauses plus fréquentes.

Mon grand-père est l’un des premiers Français installés à El Jadida, au début de l’avènement du Protectorat. Il y était arrivé vers 1914-15 en tant qu’officier, sous-lieutenant dans l’armée en même temps que le colonel Pelletier. Ensuite, il passa dans le civil et devint une personnalité incontournable dans la gestion de la cité. Il fut ainsi le premier receveur du Trésor, délégué du 3ème collège au Conseil du gouvernement, rapporteur du budget de la ville et doyen de la commission municipale. Il reçut plusieurs distinctions, celle de chevalier de la Légion d’honneur et celle de commandeur du Ouissam Alaouite entre autres.

Marcel Rivault a vécu une quarantaine d’années à El Jadida et était connu par sa ferme dite « saniat el-Morakib ». Les Marocains l’ont toujours appelé ainsi et le nom aujourd’hui s’étend à tout le quartier alors que la ferme a disparu. Quant aux Français, ils l’appelaient « puits de M. Rivault ». Le nom de Morakib (contrôleur) est venu, je pense, du fait que mon grand-père exerça en tant que responsable de la recette particulaire du Trésor place Moulay Hassan. De par ses fonctions, il avait affaire aux Marocains qui venaient payer leurs impôts ainsi que le tertib. D’ailleurs même les actes de vente de la sania portaient ce nom officiel « Morakib ». En effet, c’est mon grand-père qui a réalisé cette installation qui consistait en une sania (ferme) avec son réservoir surélevé, et, en partie basse, des pompes pour alimenter la bananeraie et servir correctement les guérabas ou colporteurs d’eau. Ceux-ci venaient remplir leurs outres en peau de chèvre ornées de pièces, afin de revendre l’eau potable en ville dans des coupelles en cuivre. C’est d’ailleurs de là qu’est venue la dénomination « saniat el-Guerraba ». Dans le champ limitrophe, mon grand-père avait planté des arbres fruitiers, notamment des bananiers, et cultivait aussi toutes sortes de légumes.

Pendant plusieurs décennies (de 1920 à 1980), cet endroit se trouvait en pleine campagne, carrément en dehors de la cité, sur la route de l’ancien aérodrome. S’agissant de la sania, je me souviendrai toujours de Si Tibari qui était responsable des plantations ainsi que des installations. Il habitait dans un petit bourg à proximité. Il m’a sauvé la vie, suite à une piqûre de scorpion, dans mon landau. Nous lui en serons toujours reconnaissants.

Marcel Rivault contribuera, avec insistance, à l’extension de l’urbanisme de la ville, à la réfection des égouts et de l’adduction d’eau. Il a joué un rôle essentiel dans le développement de la cité en tant que station balnéaire officielle avec son parc près de la plage et il a su défendre les intérêts de la région des Doukkala dans les réunions officielles. La ville lui doit aussi l’implantation et le boisement de la petite forêt le long de la route reliant Mazagan à Azemmour.

De très nombreux Marocains et Marocaines venaient le voir chez lui, de leur propre gré ou envoyés par le caïd ou le pacha, pour résoudre leurs divers problèmes : administratif, habitation, santé, salubrité, etc. Je me souviens d’avoir vu de nombreuses personnes apporter pour le remercier un poulet ou des gâteaux. A sa retraite, il se passionnait de poésie et de belles lettres.

Marcel Rivault, malgré les efforts du docteur Paoletti, mourut à El Jadida le 1er décembre 1950 des suites d’une longue maladie. Les populations, de toutes origines, ont appris avec regret son décès. Lors de son enterrement de très nombreux commerçants avaient tiré leurs rideaux au passage du convoi qui regroupait les notables de la ville, Français et Marocains, comme le président de la chambre de Commerce, les commissaires municipaux, l’amine el-Amlak, le nadir des Habous, le pacha Hamou Belabbés, le khalifa Si Mohammed Tibari, le cadi Si Mohammed Belbachir Fassi, le caïd Moulay Tahar et d’autres personnalités marocaines et françaises à leur tête M. Negrier, chef de cabinet civil du Résident général. Les journaux de l’époque, Maroc Presse, la Vigie, le Petit Marocain et la Voix de la Communauté, lui ont consacré des articles élogieux.

Ma mère, Marcelle Rivault, se retrouva veuve alors que j’avais à peine deux ans. Je pense que mon père travaillait à Mazagan avec ma mère à l’usine mais je ne peux affirmer les fonctions exactes de mon père. Quand ma mère travaillait, j’étais confié à notre assistante Aïcha et à mon tuteur André Darrigrand.

A Mazagan, nous habitions au 11 avenue de Verdun, aujourd’hui avenue Trii, où j’ai passé toute mon enfance. Avec mes amis Marocains, nous jouions au football dans la rue, faisions des misères aux chameaux qui allaient au souk. Parfois, on s’asseyait sur une barre à l’arrière des calèches qui passaient malgré le cocher qui nous effrayait avec son fouet ! Puis, à la retraite de ma mère, nous avons déménagé en haut de l’avenue Richard d’Ivry, aujourd’hui avenue Hassan II, en face de l’école Charcot. Notre voisin était Charles Duplessis que les enfants Marocains appelaient « Monsieur fou ». Moi aussi, je lui criais « Mahboul » et ma mère me grondait. Il vivait en solitaire, dans un isolement quasi-total après le décès de son épouse qu’il aimait passionnément.

Quelque temps après le décès de mon grand-père, le marché des sardines a périclité. L’usine Pimag, qui fonctionnait bien au début, connut en conséquence certaines difficultés. C’est alors que ma mère et André Darrigrand décidèrent de diversifier l’activité de l’usine en se dirigeant vers la collecte des algues. A ce sujet, il est bon de rappeler que les algues étaient seulement ramassées sur le sable, et non pas arrachées dans la mer comme c’est le cas actuellement. L’usine a également fabriqué du « nuoc-mam ».

Après le décès de ma grand-mère, ma mère se retrouvant seule prit la décision de rentrer en France pour trouver refuge à Vence. Elle ressentait une grande peine en quittant le Maroc, son pays d’adoption. La France, pour elle, était un pays inconnu. Vu mon jeune âge à l’époque, je ne sais pas ce que ma mère a fait du patrimoine légué par mon grand-père.  Avec les déménagements successifs, nous avons perdu de nombreux cartons de documents. Mais, d’après ce que j’ai pu entendre,  l’usine avec l’affaire du ramassage des  algues et les participations à l’usine d’agar-agar de Berechid, auraient été reprises par André Darrigrand et un membre de la famille Tazi. Une promesse lui avait été faite de conserver des parts mais apparemment rien de cela ne s’est déroulé de la sorte. D’ailleurs, elle ne reçut aucune aide de la France. Après le décès de ma mère, la sania el-Morakib et la ferme  Gardelle de sidi Bouafi ont été vendues, en 1968, à un Marocain, Si Mohamed ben Bouchaïb.

La famille Rivault était aussi connue en France. Dans ce dernier pays, elle était représentée par Marcel Rivault, professeur à l’école dentaire de Paris et champion de France de plongée de haut vol. Il est décédé et a laissé un garçon François, dentiste, et une fille, actrice qui était mariée à Charden, le célèbre chanteur et parolier de refrains mondialement connus.

Personnellement, je suis resté à El Jadida jusqu’en 1960 puis j’ai passé deux ans à Casablanca pour finir mes études avant de regagner la France et j’ai accompli mon service militaire dans l’aviation à Berlin.

Enfin, je tiens à remercier Mustapha Jmahri qui m’a donné l’occasion de retourner à ce passé et de renouer avec le Maroc et la ville de mon enfance El Jadida.

 

jmahrim@yahoo.fr

sur la photo : Mustapha Jmahri et Yves Chalançon

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