Published On: jeu, Mar 5th, 2015

Farid Zahi, chronique d’une rencontre de jeunesse (À l’occasion de sa nomination à la tête de l’IURS)

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Mustapha Jmahri, Ecrivain jm

En ce mois de février 2015, où Farid Zahi est nommé Directeur de l’Institut Universitaire de la Recherche Scientifique, je tiens à lui rendre hommage pour cette consécration bien méritée, d’autant plus qu’il sera, dans cette fonction, le digne successeur de deux grands chercheurs Abdelkebir Khatibi et Amina Aouchar. J’ai rencontré Farid, en 1979 à El Jadida, il avait 19 ans. Voici pour la petite histoire. Tout a commencé un jour de l’été 1979 sur la route qui mène à l’ancienne banlieue d’El Jadida. Nous avons vu, mon ami M’barek Bidaki et moi-même, deux jeunes de notre âge qui venaient vers nous en regardant à gauche et à droite comme s’ils découvraient cette région pour la première fois ou comme s’ils étaient à la recherche de quelque chose. L’un d’eux était blanc, décontracté et souriant; l’autre, brun et portant des lunettes qui lui donnaient une mine plutôt sérieuse.

A cette époque-là, il était facile, pour nous, habitants de la banlieue, comme pour tous nos voisins, de repérer facilement les visiteurs étrangers qui s’aventuraient dans notre région. Effectivement ces deux jeunes qui s’approchaient de nous n’étaient pas du coin.

Après nous avoir salués, ils nous ont demandé si nous habitions dans les parages. Nous avons répondu par l’affirmative. Ils ont alors voulu savoir si nous connaissions deux jeunes : Mustapha Jmahri et M’barek Bidaki.

Ils ne pouvaient pas mieux tomber. Nous avons ouvert de grands yeux mais nous ne comprenions pas la raison de cette recherche.

–       C’est nous-mêmes ! avons-nous répondu en chœur.

A leur tour, ils se sont présentés à nous : Farid Zahi et Ilyas Idriss.

En fait, je connaissais de nom Ilyas Idriss (ou Driss El Amraoui) qui, comme moi, à l’époque, commençait à écrire des textes littéraires en arabe dans des quotidiens nationaux. J’avais encore à l’esprit, certaines de ses critiques qui étaient plutôt sévères notamment celle envers un camarade de classe, le nouvelliste Mohammed Gharnat parce qu’il avait vendu des exemplaires de son premier recueil de nouvelles à ses élèves de Fquih Bensalah ou Khouribga. Quant à Farid Zahi, son nom ne m’était pas connu, mais M’barek Bidaki se souvenait de lui avoir montré ses poèmes, un jour, à Casablanca.

Farid Zahi et Ilyas Idriss venaient d’arriver ce jour-là de Meknès pour passer quelques jours de vacances à la plage d’El Jadida. À l’époque, les estivants étaient libres de mettre leurs tentes sur la plage du Deauville marocain et de Haouzia à la sortie de la ville et d’y séjourner pendant la saison d’été, ce qui n’est plus possible aujourd’hui. Pour arriver jusqu’à nous, Farid et Idriss nous avaient raconté toute une histoire qui prouvait non seulement leur persévérance mais qui montrait aussi cette forte envie de découverte et de connaissance qui était profondément ancrée chez tous ceux de la génération des années soixante-dix. Génération de culture, d’écriture et d’engagement politique par excellence. Ils étaient donc partis à notre recherche avec un seul indice en leur possession : le numéro de ma boîte postale. Ils se sont alors adressés à l’employé de la poste au bureau d’El Jadida le priant de leur communiquer mon adresse. L’employé s’était montré récalcitrant car il s’agissait, pour lui, d’un secret professionnel et il leur conseilla de m’adresser plutôt une lettre à travers ma boîte. Cette solution ne pouvait les satisfaire car elle prendrait au moins deux jours. Après maintes explications assez convaincantes, l’employé finira par les diriger vers Si Hassan, un horloger de ma famille et dont l’atelier se trouvait près du centre-ville. L’aide de Si Hassan fut précieuse : il leur indiqua le quartier de l’Aviation où nous habitions.

C’est ainsi qu’à force de persévérance, nos deux visiteurs avaient pu nous rencontrer près de chez nous ce jour-là. Nous étions, nous-mêmes, enchantés de faire leur connaissance pour au moins une bonne raison : échanger et partager notre amour commun pour la culture et l’écriture. C’est ce qui les animait eux aussi. Nous étions jeunes et nous cherchions notre voie tant dans la littérature que dans la vie. Nous avons alors bu le thé de l’amitié chez moi puis chez M’barek. Thé accompagné, comme de coutume, de msemen doukkali. Puis nous avons parlé, avec beaucoup d’enthousiasme, de littérature marocaine engagée. Dans ce contexte, ils appréciaient notamment l’écrivain et universitaire marocain Saïd Yaktine qu’ils avaient rencontré auparavant et dont ils parlaient avec beaucoup d’admiration. Nous abordâmes, par la suite, le sujet de la littérature arabe et ils semblaient apprécier la poésie libanaise. Ils nous ont lu d’ailleurs, séance tenante, plusieurs poèmes du recueil du libanais Mohammed Ali Chems-Eddine intitulé « Ounadika ya malaki wa habibi » (Je t’appelle ô mon ange et amour). Petit recueil qu’ils avaient en leur possession et qui venait de paraître en cette même année 1979 chez l’éditeur Dar Al Adab. Avant leur retour chez eux, ils me l’avaient offert. Si, depuis lors, je me suis débarrassé de plusieurs ouvrages que je considérais superflus dans ma bibliothèque, par contre, j’ai toujours gardé ce précieux souvenir d’une si belle époque.

A la fin de cette rencontre, nous les avons accompagnés jusqu’à leurs amis au camping estival populaire de « Deauville » et nous avons, dans les jours qui avaient suivi, fait ensemble de nombreuses promenades en ville nourries de beaucoup de discussions. J’étais, à l’époque, en train de préparer l’édition d’un deuxième recueil de nouvelles et j’ai profité de l’occasion pour leur donner le manuscrit aux fins de relecture. Le lendemain, ils avaient tout lu et annoté et m’ont remis leurs observations par écrit. J’en ai tenu compte comme d’autres observations de notre ami commun Sadouk Noureddine qui, arrivant d’Azemmour, nous avait rejoint dès le lendemain. Mon recueil de nouvelles paraîtra, plus tard, sous l’égide de l’Union des écrivains Arabes sous le titre « Haraik wa Doukhane » (Feux et fumées).

Farid Zahi montrait déjà tous les signes d’un chercheur attentif à la modernité et à la différence. Il s’intéressait à la littérature comme à la peinture et au cinéma et avait publié ses premiers essais d’écriture à l’âge de 17 ans.

Chez Ilyas Idriss, on sentait cette inquiétude existentielle à travers sa critique envers la société et ce qu’il considérait comme la bourgeoisie. Il avait justement, cette année-là, consacré dans le numéro double 4-5 de la revue arabophone Al Madina un article virulent bien documenté et bien argumenté au sujet du recueil de nouvelles de Mohammed Zniber « Al Hawa Al Jadid» (Le vent nouveau). Son article s’intitulait « L’acceptation du fait accompli et la prédominance bourgeoise ».

Depuis cette rencontre, je ne devais plus revoir ni Idriss ni Farid. Les circonstances ont mené chacun de nous vers sa propre destinée. Quelque temps plus tard, Ilyass émigrera en France et a vécu à Nantes une trentaine d’années jusqu’à ce que j’apprenne par la presse son décès en juin 2013. De son vivant, il avait reçu le grand prix Tchikaya U’Tamsi qui lui a été décerné par Radio France Internationale en 1991. Alors que Farid Zahi effectuera un brillant parcours académique et de chercheur. Je devais le revoir, dix ans plus tard, en 1990, au hasard d’une rencontre à El Jadida où il accompagnait feu Abdelkebir Khatibi à l’association Doukkala. Nous avons alors évoqué brièvement cette rencontre dans les années 70 et je l’ai trouvé bien informé, à travers la presse, de mes activités littéraires.

Aujourd’hui, en ce mois de février 2015, où Farid Zahi est nommé Directeur de l’Institut Universitaire de la Recherche Scientifique, je tiens à lui rendre hommage pour cette consécration bien méritée, d’autant plus qu’il sera, dans cette fonction, le digne successeur de deux grands chercheurs Abdelkebir Khatibi et Amina Aouchar.

Mustapha Jmahri

 

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