Yabiladi : Pourquoi le Maroc a-t-il perdu sa place de premier pays d’accueil des retraités français expatriés qu’il détenait dans les années 1990-2000 ?

Louis Eudes : Pendant longtemps, le Maroc a été la seule destination des retraités français (avec l’île Maurice sur un segment de population plus fortuné), même si les chiffres des retraités français au Maroc ont été, selon nos observations, largement surestimés. Mais au moment de la crise des subprimes, nous avons enregistré un véritable tournant. Dans le monde entier, les gens ont cessé d’acheter à l’étranger et se sont repliés sur leurs bases. Les achats des français au Maroc, n’ont pas échappé à ce phénomène.

Avec les révolutions arabes, le Maroc a été considéré comme un pays à risque, assimilé indistinctement au reste du Maghreb. Le flot continu d’informations anxiogènes en provenance des pays arabes envoie quotidiennement un signal très négatif. Depuis le début de la reprise, il y a 2 ans, le Maroc est donc resté en dehors des circuits de l’investissement des Français. Aujourd’hui encore, très peu de nos clients nous demandent de les accompagner au Maroc, [une clientèle plutôt aisée qui a les moyens de s’offrir un service de conseil et d’accompagnement, ndlr].

Qu’est-ce que le Maroc peut faire pour essayer de reconquérir cette clientèle ?

Sur le plan de la sécurité des investissements, le cadre règlementaire marocain reste largement insuffisant malgré des efforts récents pour prendre en compte la nécessité de protéger les acheteurs. Dans la promotion d’un Etat de droit, le Maroc devrait pousser les acteurs de la filière à mieux respecter la loi qui présente déjà des garanties mais qui n’est pas toujours appliquée. Les ventes sur plan restent, par exemple, mal encadrées et très risquées. Globalement, le marché immobilier reste très opaque.

Le Maroc souffre également, comme beaucoup de pays émergents, de l’immense liquidité déversée par les banques centrales depuis 20 ans. Comme cette liquidité ne peut pas quitter le Maroc en raison du contrôle des changes, elle se déverse sur le marché immobilier local pour créer une inflation et des niveaux de prix sans rapport avec la réalité économique.

L’obligation de convertir la totalité de leurs pensions de retraite en dirhams, une devise non convertible, est également peu encourageante pour les gros retraités qui souhaitent en conserver une partie en France.

Mais le problème essentiel reste le déficit d’image et l’amalgame géopolitique. C’est la première raison de la désaffection des retraités, car elle touche à l’émotionnel, en brisant le rêve… je ne pense pas que le Maroc puisse réellement corriger cette image. Il n’essaie pas d’ailleurs et il a raison selon moi. Le marché des retraités français expatriés, dont les chiffres ont été généralement surestimés, est assez marginal pour le pays. Quelques milliers de personnes tout au plus.

Est-ce que certains retraités décident également de rentrer en France ?

Nous avons suivi quelques personnes qui ont effectivement essayé de partir mais ils connaissent beaucoup de difficultés à vendre un bien immobilier ancien face à l’excès de logements neufs sur le marché. Il reste aussi parfois délicat de sortir des capitaux du Maroc. D’une manière générale l’excès de confiance des retraités à l’arrivée est une vraie difficulté : au moment de s’installer, les gens ne voient jamais les problèmes qu’ils rencontreront au moment de leur retour en France [qui arrive toujours, ndlr].

Quels sont les pays qui aujourd’hui font concurrence au Maroc et bénéficie de la désaffection de la destination marocaine ?

L’Europe du sud est clairement la première à bénéficier de cette redistribution des cartes. L’Espagne où les prix de l’immobilier se sont effondrés avec la crise économique et le Portugal [où les retraités étrangers qui s’installent sont exonérés d’impôts, ndlr] sont les grands gagnants. Le Sénégal attire également de plus en plus. Ce n’est pas encore une destination importante de notre clientèle, mais c’est un démarrage intéressant. Aujourd’hui, nous avons d’ores et déjà plus de demandes pour le Sénégal que pour le Maroc. Le pays a un avantage important : son climat propice à l’hivernage. Il y fait réellement chaud quand le Maroc n’offre qu’un peu plus de douceur qu’en France.